i thought i'd never see you again

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Sometimes I regret saying too much.
Sometimes I regret saying nothing at all.

Il n’avait pas dormi. Il avait passé une fois de plus la nuit à composer. Encore et encore. Oliver n’arrivait même pas à prendre conscience du nombre de titres qu’il avait créé en quelques mois. Sans doute assez pour les deux ou trois prochains albums. Mais il continuait, s’obstinait à trouver mieux, à faire plus. Alors, à nouveau, il était persuadé d’avoir trouver LE morceau parfait pour un prochain single, un prochain hit qui taperait le top 10 du prochain Billboard Hot 100. Il n’avait cessé de le fredonner, de l’enregistrer afin d’en envoyer la version la plus parfaite et la plus aboutie à son producteur. Mais celui avec qui il voulait en parler le plus prestement n’était pas là.

Il était à peine neuf heure, quand ne tenant plus, Oliver décida de passer voir Hoyt chez lui pour parler de ces derniers morceaux. Cela faisait déjà quelques jours que ce dernier arrivait en retard au studio, décalait des rendez-vous, ou même semblait éviter la présence de son meilleur ami, ce qui perturbait grandement Oliver. Il n’avait encore jamais été comme ça. L’un n’allait pas sans l’autre. Et pourtant, maintenant que leur carrière avait décollé, Hoyt semblait le fuir. Oliver, dans un élan de courage et d’impulsivité sauta dans le métro direction Dumbo. Il allait lui faire face, essayer de démêler les raisons de la situation actuelle. Oliver avait besoin de lui, et particulièrement en ce moment. Alors qu’il le veuille ou non, ils parleraient aujourd’hui, avant d’aller au studio.

Une demie heure plus tard, Oliver se trouvait devant la porte de l’appartement d’Hoyt, des cafés à la main. Et bien qu’il hésita une demie seconde, il toqua trois fois contre le panneau de bois. Ils allaient parler, ils allaient se réconcilier en parlant musique, autour d’un café, d’une clope. Mais quoiqu’il en soit, Oliver était bien décidé à comprendre ce que traversait son meilleur ami.

C'était le jour de repos de Mayes. Aujourd'hui, pas d'avant-bras brûlé contre le pot de café trop chaud, pas de touristes italiens qui ne comprenaient pas le principe des pourboires (comme elle aurait aimé être dans le même cas), pas de semelles collées au sol par les taches de sirop d'érable que personne n'avait le temps de nettoyer complètement avant qu'elles ne coagulent. Et surtout, pas de réveil aux aurores.
Alors même si elle dormait depuis plus de deux semaines dans le même canapé trop mou pour le bien de son dos et même si les rayons du soleil lui dansaient en plein milieu du visage car elle avait oublié de fermer les rideaux avant de se coucher la veille, Mayella Milburn était bien lancée pour dormir jusqu'à au moins onze heures. Elle avait du sommeil à rattraper, après tout, entre les heures qu'elle accumulait au boulot, au musée, et à la bibliothèque à emprunter des bouquins dont elle commençait tout juste à voir le bout. Donc aujourd'hui, elle dormait.
C'est ce qu'elle avait décrété et qu'elle s'apprêtait à appliquer lorsque quelque chose l'extirpa de son sommeil, mais pas suffisamment pour la réveiller totalement. Elle effectua un demi-tour du déni sur elle-même, se blotissant un peu plus profondément dans les couvertures et dans son sommeil, avant d'ouvrir brusquement les yeux.
On venait de frapper à la porte. Et bien sûr qu'elle aurait dû comprendre que ce n'était pas Hoyt car Hoyt l'avait expréssément avertie du fait qu'il ne dormirait pas à l'appart et par conséquent n'y repasserait pas, et surtout car Hoyt ne toquait pas poliment à la porte. Non, Hoyt tambourinait à la porte quand il avait oublié ses clés, lançait des coups de pieds contre la porte quand il avait les mains encombrées de courses, ou ouvrait la porte avec la clé qu'il n'avait clairement pas oubliée ce jour-là puisque le manège du tambourinage sus-évoqué avait déjà eu lieu la veille deux minutes après le départ de son frère et qu'elle lui avait alors presque tendrement ouvert la porte avant de lui fourrer son trousseau de clés dans la main et de la claquer à nouveau, cette fichue porte.
Donc techniquement, Mayella aurait dû savoir que ce n'était pas Hoyt qui venait de la réveiller. Mais dans l'absolu, il était neuf heures trente du matin, elle n'avait pas la moindre idée de qui d'autre pouvait se pointer là, et s'il avait envie de toquer à la porte au lieu de la défoncer à coups de poing, il avait après tout le droit puisqu'ici, c'était chez lui.
Alors Mayella se leva péniblement en se prenant les pieds dans un plaid et en frottant la trace de l'oreiller qu'elle savait incrustée dans sa joue droite, en maugréant à mi-voix qu'il était neuf heures du matin et qu'elle était déjà esclave des pancakes et des antiquités, elle n'avait pas le temps de devenir en plus portière pour son frère. Puis elle ouvrit la porte. Et faillit s'étrangler.

Elle était là, face à lui. Son fantôme. Celle qui ne pensait jamais revoir. Ce petit bout de femme aux cheveux flamboyants, au visage pointu, et aux grands yeux clairs. Mayella Millburn.  Oliver en fut tellement surpris qu’il resta bouché bé une bonne minute. Un silence gênant s’installa pendant ce qui lui parut être une éternité. Elle était là sous ses yeux. Il n’en revenait pas. Il crut défaillir un instant. Si Oliver s’était préparé à toute éventualité, il n’avait jamais envisagé celle-ci.

Son cœur battait la chamade alors qu’il cherchait quelque chose à dire. Son manque de sommeil commençait à sacrément embrumer ses pensées et rien ne lui venait en tête. Il passa sa main libre sur son crâne rasé, le frottant dans un geste nerveux. « Je—Hum. » Rien ne lui venait, i bafouillait sans savoir ce qu’il devait dire. Le temps d’un instant il se persuada qu’un reste de drogue était remonté dans ses artères et altérait sa vision. Cela ne pouvait être qu’une hallucination. Mayes ne pouvait se trouver devant lui. Pas après deux ans sans réponse. Pas sans qu’Hoyt ne le prévienne. Alors, troublé et perdu, il bafouilla. « Je vais y aller, je crois que quelque chose ne tourne pas rond. »

Oliver s’apprêta à tourner les talons, clignant des yeux comme pour chasser son image, mais avant de définitivement quitter les lieux, il lui tendit les cafés. « Pour Hoyt. » Ce qui fut tout à fait ridicule. Quelle hallucination attraperait en retour les cafés. Il sentait son pouls s’accélérer à force d’accepter la réalité : Mayes était face à lui en chair et en os. Alors bêtement, sous le coup de la fatigue et de son hygiène de vie douteuse et parce qu’il n’avait su vraiment contenir ses émotions il demanda de but en blanc : « Je—Je ne rêve pas dis ? C’est toi ? »

Si Mayes savait qu'elle devait possiblement ressembler à un merlan frit, ses grands yeux interloqués, sa bouche entrouverte et ses cheveux emmêlés n'arrivaient pas ne serait-ce qu'à la cheville de la tronche que tirait Oliver Prewett à seulement quelques centimètres d'elle. Il fallait dire qu'elle avait un peu moins d'excuses d'être surprise, après tout. Elle savait qu'ils étaient dans la même ville, elle l'avait vu de loin quelques jours à peine auparavant (et avait passé la nuit à en pleurer d'ailleurs, mais personne n'avait besoin de le savoir), et suivait suffisamment son activité sur les réseaux sociaux pour ne pas être trop étonnée par le vide intersidéral qui ornait désormais le crâne qu'elle avait si souvent caressé.
Alors, après quelques secondes à fixer Ollie en se cramponnant à sa poignée de la porte sans trop savoir quoi faire de son corps, Mayella Milburn eut la seule réaction possible (et possiblement une des pires, aussi, vues les circonstances). Elle sourit.
Mais pas un petit sourire discret, innocent et aisément camouflable. Non, un vrai sourire, un vrai de vrai, de ceux qui illuminent son visage et qu'elle réserve aux moments très spéciaux (quand elle perçoit une touche de cardamome dans sa tranche de pain d'épices, quand Steve McQueen roule un patin à Natalie Wood dans Love with the Proper Stranger, quand un garçon l'embrasse contre une Buick Riviera de 1968 après avoir regardé The Green Mile). Et elle est à peu près sûre qu'elle l'aurait pris dans ses bras si elle ne s'était pas rendu compte que quelque chose ne tournait pas tout à fait rond. Enfin, pas tout à fait rond pour une situation où l'homme qu'elle avait plus ou moins fui deux ans plus tôt se retrouvait, crâne rasé et cafés à la main, face à elle à neuf heures du matin à plusieurs milliers de kilomètres de là où ils s'étaient vus pour la dernière fois.
Elle pouvait vaguement concevoir qu'Oliver ne soit pas disposé à lui sourire, ni même à lui parler d'ailleurs, mais elle ne s'était pas attendue à ce qu'il la prenne pour une hallucination et ne trouve rien de mieux à faire que lui tendre des cafés. Et puis elle se rendit soudain compte qu'il ne savait sans doute rien de tout ce qui s'était passé ces derniers temps (elle y avait veillé, après tout), qu'il ne savait pas ce qu'elle foutait là (elle non plus, d'un côté), et qu'il avait peut-être même jusqu'à oublié qu'elle existait (ne pas penser à la jeune femme de l'autre soir, ne pas penser à la jeune femme de l'autre soir, ne pas penser à la jeune femme de l'autre soir). Alors son sourire s'effaça aussi rapidement qu'il était apparu, et elle se sentit soudain très mal à l'aise. Parce qu'elle avait des millions de choses à lui dire, elle avait envie d'enfin lui parler, en avait peut-être même besoin, mais une vérité désagréable et implacable lui tomba sur le coin de figure à ce moment-là : une conversation, ça se tient à deux, et tout ce qu'elle avait pu préparer comme discours enflammé sur les raisons de son silence radio ne prenait absolument pas ce facteur en compte.
« Hey Ollie...ver, » tenta-t-elle en se cachant derrière son t-shirt trop grand et son pantalon de pyjama élimé. Elle se racla la gorge car elle avait une voix caverneuse qu'elle ne pouvait que partiellement attribuer au sommeil dont elle venait de sortir, et reprit, tout aussi timidement. « C'est bien moi. Enfin, Mayella, quoi. » Elle l'observait se décomposer et cela éveilla un vieux sentiment de détresse qu'elle n'avait pas ressenti depuis son départ. « Ça va ? Tu veux rentrer ? » proposa-t-elle finalement, à la fois parce qu'elle sentait qu'il allait bien falloir qu'elle lui parle un jour au lieu de le stalker dans l'ombre, et parce que le visage qui lui faisait face lui indiquait clairement que non, ça n'allait pas, et ça l'alarmait (juste un peu).

Tout lui semblait douloureux. La voir. Ce sourire. La situation. Le mensonge. Oliver était perdu et ne comprenait pas un dixième de la situation. Qui put croire qu’une simple visite à son meilleur ami pouvait déboucher sur un retour dans le passé. Elle avait disparue, bon sang, et il y a de ça presque vingt quatre mois. Vingt quatre et terrible long mois où il n’a cessé de tenter de la joindre. Des mails, des lettres, des sms ou messages vocaux. Mais aucune réponse, jamais. Pas un signe de vie. Rien. Mais elle était aujourd’hui face à lui à lui offrir l’un des sourires les plus radieux qu’il ait vu durant ces dernières années.  Et ça ne faisait qu’enfoncer le couteau dans la plaie.

Oliver se cramponna à son carton de cafés duquel elle ne s’était pas emparée, tentant tant bien que mal de faire le clair sur ce qui se déroulait sous ses yeux. Mais le son de sa voix vint lui filer un nouvel uppercut dans l’estomac qui lui donna soudainement la nausée. Le sang quittait son visage alors que sa nuque se raidissait douloureusement. Elle était douce Mayella, attentionnée Mayella. Mais Oliver ne l’entendait pas comme ça. Il sentait la colère sourde gronder dans son bas ventre, lui laisser un goût amer dans la bouche. Mal à l’aise, agité, il ne lui rendit pas son sourire et se contenta d’arborer un visage fermé. « Je – Je pensais pas que tu reviendrais. » Dit-il sèchement. Rien ne pouvait exprimer son état d’esprit à l’instant et certainement pas cette phrase minable. La frustration le gagnait à son tour, le faisant légèrement trembler (ou était-ce une descente, dieu seul aurait pu le savoir).

Incapable de la fixer plus de quelques secondes, il décida finalement de fixer ses pieds. « Je ne crois pas que ça soit une bonne idée. Je voulais juste voir Hoyt. Je—» Il avait tellement de chose à lui dire, lui déballer. Le discours, il le connaissait par cœur. Il s’était même entraîné mentalement. Mais maintenant qu’elle était là, il se retrouvait sans voix. Impossible de se souvenir de quoique se soit. Avait-il seulement envie ? La vérité c’est qu’elle était partie sans un mot et qu’elle était revenue tout aussi discrètement, à l’abris de son regard. « S’il n’est pas là je vais y aller. Je ne suis pas sure que tu souhaites me parler étant donné que tu n’as pas donné signe de vie depuis deux ans. » Il lança un sourire -ou plutôt une grimace- peu accueillante et lui tendit cette fois plus abruptement le café.  « Sur ce, je vais y aller. »

« Je – Je pensais pas que tu reviendrais. »
Elle ne sut pas quoi répondre, pas tant parce que la remarque la surprit qu'à cause du ton sur lequel il la lâcha. Il lui parut alors clairement que ce qui allait suivre ne serait ni agréable ni même cordial.
Peut-être qu'elle aurait mieux fait de ne pas revenir. Pourquoi elle était revenue, d'ailleurs ? Parce que ça y était, il avait l'air heureux sans elle, sans se ramasser sur la gueule ses problèmes à elle, sans se faire bousiller la gueule à cause de ses problèmes à elle ? Parce qu'il était grand temps qu'elle vienne foutre à nouveau le bordel ? Parce qu'elle estimait qu'elle n'était plus l'aimant à emmerdes qu'elle avait pu être ? Parce que sa psy avait réussi à la convaincre qu'elle n'était pas nocive ? Parce qu'il n'avait pas l'air si heureux que ça, sur les photos, et qu'elle ne pouvait s'empêcher de se dire qu'elle pouvait peut-être arranger ça ? Parce qu'il n'y avait jamais rien eu pour elle à Oak Grove ou à Portland ou à Seattle et qu'elle était allée chercher ailleurs quelque chose qu'elle avait trouvé avec lui sans le réaliser, et qu'après s'en être rendu compte elle s'était sentie trop merdeuse pour venir l'admettre immédiatement ?
C'était assez fou, parce que concrètement elle en avait des raisons d'être revenue. Elle en avait des dizaines, presque autant qu'elle avait de raisons d'être partie, et pourtant elle avait la sensation qu'aucune ne serait jugée comme acceptable par Oliver. Alors elle ne répondit pas à ce qu'elle estima être une provocation, et garda les pieds bien plantés sur le sol pour se préparer à une suite qui ne tarda pas.

Elle ne savait pas trop s'il la cherchait ou s'il s'apitoyait sur son sort (un peu des deux, peut-être), mais il n'empêche qu'elle n'y tint bientôt plus. Au milieu de toute la culpabilité qui venait de lui tomber dessus en voyant le visage d'Oliver se décomposer, elle sentait poindre un besoin réel de se justifier, de lui faire comprendre ce qui se passait et ce qui s'était passé et ce qu'il n'avait pas compris. Alors elle s'empara des cafés qu'ils s'obstinait à vouloir lui donner sans qu'elle comprenne pourquoi, et lâcha, avant qu'il ait le temps de tourner les talons : « J'ai écouté tes messages. Et je les ai lus aussi. Tous. » Mais j'y ai pas répondu, s'abstint-elle d'ajouter, car il l'avait visiblement remarqué, qu'elle n'avait pas répondu. Même si elle avait rédigé des dizaines de sms qu'elle n'avait jamais envoyés.
Et expliquer pourquoi elle était partie quand il avait le dos tourné, pourquoi elle n'avait pas envoyé un seul de ces sms, pourquoi elle n'avait pas eu le cran de venir le voir ces deux dernières semaines, là, sur le seuil d'un appartement qui n'était même pas le sien avec à la main des putains de cafés qu'elle ne voulait pas boire parce qu'elle ne buvait pas de putain de café, ça ne la branchait pas trop. Et elle sentait le désarroi monter en elle, et sa gorge se nouer autour des larmes de frustration (et de honte, un peu) qui commençaient à se frayer un chemin jusqu'à ses yeux encore englués de sommeil, alors elle brandit ses gobelets de café dans un geste vaguement menaçant, tout en s'efforçant de ne pas crier lorsqu'elle lui lâcha l'une des deux raisons pour lesquelles elle avait fait ce qu'elle avait fait de la manière dont elle l'avait fait. « J'ai failli bousiller ta vie ! Tu as failli tout rater parce que j'étais là et qu'il était là et tu n'avais pas besoin de ça ! Et peut-être que ça t'éclate de chanter dans les bars à propos de ça comme si ce n'était rien, mais ça n'a jamais été rien et tu le sais aussi bien que moi. Et ça me fait chier d'avoir dû te regarder réussir de loin alors que j'aurais pu être là, sauf que t'aurais jamais réussi si j'avais continué à être là. » Elle se rendit compte qu'elle en avait dit bien plus qu'elle ne le souhaitait et qu'elle venait littéralement de faire passer sa disparition pour un acte de bravoure visant à préserver et protéger son prince en détresse, mais elle ne trouva pas d'autre moyen de se rattraper qu'en marmonnant un « à être là en étant comme j'étais avant, je veux dire, » parce qu'elle n'avait pas très envie de lui faire croire qu'elle était la même aujourd'hui et qu'elle lui attirerait encore des ennuis si jamais il acceptait de la revoir un jour (il ne lui avait envoyé que trois lettres, ça ne pouvait pas être source d'ennuis, tout de même ?), et qu'elle voulait aussi lui faire savoir qu'elle n'avait plus l'intention de se voir comme une chose nuisible qu'elle n'avait jamais vraiment été. « Alors si tu n'as pas envie de me parler, je peux le comprendre, mais récupère ton café parce que Hoyt n'est pas là et tu sais que j'en bois pas. »

« J'ai écouté tes messages. Et je les ai lus aussi. Tous. » A ces mots, il resta estomaqué. Elle les avait tous écouté, tous lu. Et pas un mot en retour. La colère s’empara un peu plus de lui, sourde, ténébreuse. L’avait-elle au moins aimé ? Il en doutait aujourd’hui.

Une fois débarrassé des cafés, il fourra ses mains dans ses proches, prêt à partir. Il ne voulait pas rester plus longtemps ici. Elle n’avait rien eu à lui dire, alors lui non plus. Et pourtant, au fond, ça lui faisait mal de tourner ainsi les talons alors qu’il l’avait tant attendu ce moment. Mais il n’eut pas le temps de se défiler, car déjà elle s’écria tout un tas de choses qu’Ollie eut du mal à saisir sur l’instant. Il resta finalement planté où il était, tentant de faire remonter l’information à son cerveau embrumé. Bousiller sa vie. Chanter dans les bars à propos de ça. Regarder réussir de loin. Il n’était pas sur de comprendre. Il la dévisagea un instant. Essaya d’intégrer ce court monologue. Elle lui avait donné tant d’informations, tant de chose qui lui donnait envie de la secouer et de lui dire qu’il avait été misérable sans elle, pas avec elle.  Mais la colère et la frustration prirent soudain le dessus, et sans suivre l’injonction de Mayes à propos des cafés, rétorqua. « T’en as pas marre de dire n’importe quoi ?! Je peux pas t’entendre dire ça, je peux pas. Curtis était fou et ce n’est pas de ta faute ce qui m’est arrivé. Ca ne l’a jamais été. J’avais besoin de toi. Je n’ai jamais eu autant besoin de toi qu’il y a deux ans. Mais t’as décidé de te casser. Grand bien t’en fasse ! Mais ne viens pas me dire que c’était pour mon bien. Tu l’as fait pour toi et en connaissance de cause. » S’en était trop. Il se saisit finalement des cafés et commença à rebrousser chemin, allant jusqu’à l’ascenseur et écrasant le bouton d’un doigt rageur. D’une voix sourde il marmonna : « T’as toujours su où m’trouver… » L’ascenseur tardant à arriver à son goût, il prit la décision absurde de retourner vers Mayes qui était jusqu’alors restée silencieuse. Il s'approcha bien plus que lors de leur premier échange, la toisant de sa hauteur.« Pourquoi t’es revenue au juste ? Pourquoi t’es venue au concert ? Pourquoi ?! Tout ça n’a pas de sens. T’as voulu avoir ta sans nous, alors pourquoi maintenant ? » Sa mâchoire se serra dans un mouvement d’anxiété perceptible.

« C'est MOI qui dis n'importe quoi maintenant ? Mais tu t'entends ? Et tu vas où d'abord ? Reviens ici ! » Elle n'avait pas trop réfléchi avant d'ouvrir la bouche, car le simple fait de l'entendre parler de Curtis et de déblatérer des énormités dont il n'avait même pas conscience lui était insoutenable, alors il fallait qu'elle noie ces inepties sous ses propres mots, aussi débiles soient-ils. Elle avait plus ou moins conscience qu'elle était en train de beugler dans les couloirs d'un immeuble de bon matin mais il y avait quelque chose d'étrangement réconfortant dans ce qui était en train de se passer, et un petit bout de son cerveau lui indiqua avec un brin de fierté que c'était peut-être parce qu'elle arrivait enfin à utiliser des mots pour exprimer ce qu'elle ressentait, mais elle l'ignora et préféra esquisser un pas vers la silhouette d'Oliver qui s'éloignait vers l'ascenseur, bien déterminée à finalement récupérer les cafés – pour quoi faire, ça elle n'en avait aucune idée.
« Reviens ici et donne-moi ces cafés, » exigea-t-elle sans trop comprendre que sa requête visait plus à contraindre Oliver à rester qu'à obtenir une dose de caféine dont elle n'aurait même plus eu  besoin pour se réveiller, désormais. Sauf que, contre toute attente, il sembla l'écouter, et revint se planter devant elle. Beaucoup trop près au goût de Mayes, qui perçut dans cette attitude une volonté d'intimidation qui marcha un tout petit peu. Et si elle esquissa un minuscule pas de recul au cas où, elle ne deserra pas les poings et ne renonça pas à son froncement de sourcils contrarié lorsqu'il lui demanda pourquoi elle était revenue. Elle se voyait mal lui répondre qu'elle était revenue parce qu'il lui manquait trop, parce que 1) elle n'avait plus envie d'être tendre et vulnérable là tout de suite et c'était le genre de confession qu'elle considérait comme tendre et vulnérable et 2) il se serait foutu de sa gueule, l'aurait encore traitée d'égoïste et se serait barré en lui jetant son foutu café dans la gueule. Alors, comme les mauvaises habitudes ont la vie dure et que la sincérité n'avait pas vraiment porté ses fruits ces cinq dernières minutes, elle préféra détourner ces sales questions à l'aide de ses propres sales questions. « Et toi, pourquoi t'as joué ça au concert ? Hein, pourquoi ? Et pourquoi t'as fait ça ? » lâcha-t-elle en désignant son crâne d'un signe de tête, tout en veillant à ne pas effectuer le moindre geste qui pourrait faire en sorte qu'ils se touchent ne serait-ce qu'un tout petit peu.

« Parce que tu crois vraiment que je dois me justifier ! » Beugla-t-il dans le couloir alors qu’elle avait consciemment dévié la conversation.  Non il ne lui donnerait pas la satisfaction de lui expliquer pourquoi il avait voulu reprendre cette chanson, pourquoi il s’était rasé la tête ou pourquoi plus rien ne tournait rond chez lui. Ca aurait été lui donner trop d’importance. Et là tout de suite, il ne voulait pas lui montrer à quel point il avait mal. Il s’abstint de lui redonner les cafés. Après tout, il ne lui était pas destiné. « Et je garde les cafés ! » dit-il d’un air de défi. Il fulminait. Néanmoins il sentait qu’il avait besoin de sortir tout ce qui l’avait pesé ces années durant. « Tu n’as aucun droit de regard sur ce que je fais Mayes depuis que t’es partie sans un mot. » prononça-t-il d’une voix sourde et posée.

Son portable se mit à vibrer dans sa poche, venant briser le moment de tension. Evidemment, quand il jeta un coup d’œil, ce fut le selfie débile d’Hoyt qui s’afficha. Qui d’autre ? Il devait être arrivé au studio. Oliver choisit d’ignorer l’appel. Il reporta son attention sur la jeune femme. « Ton frère m’attend. » Oliver tenta de rester calme. De ne pas expulser tout son venin. Il avait cependant le sentiment que c’était maintenant ou jamais. Comme si elle pouvait disparaître à tout moment à nouveau. Et cette idée lui tordit les boyaux.

« Je crois qu’on a plus rien à se dire, si ? » Demanda-t-il en tout état de cause, n’attendant pas tellement de réponse. Il souffla bruyamment, comme pour évacuer la tension avant de prendre réellement les jambes à son cou.

Il fallait bien admettre que ce n'était vraiment pas ce qu'elle s'était imaginé, niveau retrouvailles. Mais elle au moins, elle s'en était imaginé, des retrouvailles. Et il devenait de plus en plus évident que ce n'était pas le cas d'Oliver, qui s'obstinait à vociférer tout et n'importe quoi. Et elle se rendit compte, soudain, que ça l'épuisait. Ça l'épuisait de devoir lever la tête pour le regarder dans les yeux et lui montrer qu'elle n'était pas disposée à céder. Ça l'épuisait de le voir se raccrocher à ses cafés comme une moule à son rocher. Ça l'épuisait de se prendre ses reproches dans la gueule sans rien dire. Ça l'épuisait qu'il pose toutes les mauvaises questions et qu'il se préoccupe des mauvaises choses et qu'il passe à côté de tout sans même s'en rendre compte. Alors lorsqu'il dégaina son téléphone et lui annonça que Hoyt l'attendait, elle éprouva un certain soulagement et eut l'impression de se dégonfler un petit peu – tant littéralement que métaphoriquement. Et comme il prenait congé et que rien n'avait avancé et que rien n'avancerait jamais car plus jamais ils ne se parleraient et qu'elle allait de ce pas chercher un nouvel endroit où s'exiler histoire de ne plus avoir à entendre parler de lui à travers Hoyt et sa nouvelle copine et tous les réseaux sociaux de l'univers, elle recula pour dégager la porte, se cramponna à la poignée et lâcha, aussi vaillament que possible : « Tu veux savoir pourquoi je suis revenue, c'est ça ? C'est parce que tu me manquais. Bonne journée. » Et elle lui la claqua à la figure, cette fichue porte.

Il espéra un instant qu’elle lui tienne tête encore, qu’elle s’énerve, s’agace et que cette dispute continue parce que ça voulait aussi dire qu’il passait du temps avec elle. Et il détestait penser ça, il détestait avouer qu’il cherchait sa présence, la réclamait. Alors quand elle commença à s’éloigner de la porte comme pour la refermer, il sut que s’en était fini. Que la discussion s’arrêterait là. Et qu’elle disparaîtrait à nouveau. Il hésita un instant à se radoucir, à lui demander de rester, de parler, de crier mais que l’échange continue. Mais Mayella lui assena le coup de grâce. Tu veux savoir pourquoi je suis revenue, c'est ça ? C'est parce que tu me manquais. Bonne journée. » Et elle claqua la porte, laissant un Ollie complètement pantois.

Tu me manquais. Ca alors. Il n’aurait pu s’en douter après deux ans de silence radio. Mais quelque chose muta soudainement. Comme si les mots venaient enfin d’être intégrés. Soudainement intelligible. « Mayella !! » beugla-t-il à nouveau, tambourinant sur la porte. « Mayes, reviens !! T’as pas le droit de me dire ça et de te casser putain. » Se fâcha-t-il derrière le pan de bois. Il se savait puéril et qu’une partie de ses défenses venaient de tomber. Mais il ne contrôlait plus tellement la situation ou ses émotions. Tout était trop.

« Putain… » Souffla-t-il alors que la porte ne s’était pas rouverte. Il sentait la fatigue lui peser sur les épaules soudainement. Qu’était-il devenu ? Il ne se reconnaissait même plus. Une fois de plus il lui courait après alors qu'il s'était promis qu'il ne recommencerait plus. Il s’éloigna de la porte, la fixa un instant prêt à faire demi-tour. Point de départ. Il était à présent persuadé qu’il ne la reverrait plus, cet échange ne s’étant pas tout à fait déroulé comme il l’avait imaginé dans ses nombreuses rêveries. Il l’avait attendu pourtant. C’était préparé. Mais c’était un désastre. Et dieu sait qu’elle lui manquait.

Il fallut quelques secondes à Mayes après avoir fermé la porte pour prendre conscience de ce qu'elle venait de faire. Elle venait de tenir tête à Oliver, de l'envoyer paître sans ménagement, de lui confesser son amour impérissable, et il n'était même pas encore dix heures du matin. Elle qui avait prévu de lui parler calmement le jour où ils se recroiseraient, de lui expliquer posément tout ce qu'elle avait envie de lui expliquer, en omettant les détails pas glorieux et en enjolivant les détails passables. Alors elle se retrouva un peu penaude à se tenir derrière la porte qu'elle venait de brutaliser, sans trop savoir quoi faire d'autre que rester immobile à écouter Oliver lui gueuler dessus encore un peu plus parce qu'il était visiblement devenu très fort quand il s'agissait de se foutre en rogne après elle, et elle ne lui en voulut même pas.
Et puis elle s'activa soudain, se mit à arpenter le salon en soulevant toutes les couvertures et oreillers qu'elle croisait car elle s'était mise à trembler et les tremblements n'annonçaient jamais rien de bon et il lui fallait son téléphone car il était hors de question qu'elle se foute en dyspnée alors qu'Oliver Prewett était toujours à une cloison de là où elle se trouvait. Sauf qu'elle ne trouvait pas son téléphone, mais qu'aucune trace d'hyperventilation ne se manifestait non plus et cette réalisation la stoppa net, un plaid défraichi à la main et le regard soudain perplexe. Elle n'était pas du tout en train de péter une crise d'angoisse. Elle était juste galvanisée par l'échange qui venait de se dérouler, et ça la dérouta grandement. C'était l'adrénaline et un soupçon d'euphorie qui la foutaient dans cet état, pas la panique d'avoir malencontreusement admis des choses qu'elle souhaitait peut-être au fond admettre depuis un moment. Et, wow. Ça lui fit tout drôle.
Un peu chancelante sur ses guiboles, elle retourna vers la porte et y colla l'oreille juste au cas où, juste à temps pour entendre Ollie maugréer un « putain » qui la fit céder sans s'en rendre compte. Car voilà qu'elle saisissait à nouveau la poignée et ouvrait la pauvre porte à la volée. Et si elle avait les joues un peu rouges et les yeux un peu gonflés, elle était prête à prétendre que c'était parce qu'elle était préoccupée par ce que les voisins allaient penser d'un tel raffut de bon matin, et non pas parce qu'elle avait envie de continuer cette engueulade stupide, et de pleurer un peu, aussi. « Arrête de hurler, on n'est pas seuls au monde ! Rentre, ou va retrouver Hoyt, ou fais n'importe quoi mais arrête de projeter ta colère sur la porte, » reprit-elle d'un air renfrogné comme si elle ne venait pas de lui admettre à demi-mots qu'elle avait passé les deux dernières années à penser à lui à peu près tout le temps.

Face à cette porte fermée, Oliver ne faisait plus le fier. Elle était repartie, une fois de plus, le laissant seul. Si la frustration était forte, si fort qu’elle en faisait trembler ses mains, Ollie trouva la force de se calmer un peu. Il prit deux-trois grandes inspirations, toujours devant cette foutue porte, les larmes menaçant de couler. Il aurait certainement dû dormir, s’abstenir de venir et s’en tenir au plan : rendez-vous au studio. Mais non, il avait fallu qu’il vienne jusqu’ici, découvrir ce qui empêchait son meilleur pote d’être présent. Et tout prenait finalement son sens. L’abandon de la colocation à peine 15 jours avant l’emménagement, les retards, les lapins, le mystère.

Il déglutit avec difficulté, posa les cafés devant la porte (ils devaient être froids à présent) et se prépara à rebrousser chemin. Un dernier regard… Et la porte se rouvrit. « Arrête de hurler, on n'est pas seuls au monde ! Rentre, ou va retrouver Hoyt, ou fais n'importe quoi mais arrête de projeter ta colère sur la porte, ». Il fixa Mayella, incrédule. Elle avait raison. Evidemment l’admettre était inenvisageable. Mais il hocha la tête et accepta de rentrer (tout en se promettant mentalement qu’il n’y resterait que cinq minutes, histoire de redescendre). Il la suivit sans un mot. Il ne savait même pas pourquoi il était rentré dans cet appartement alors qu’Hoyt n’y était pas et que son ex qu’il n’avait pas vu depuis deux ans s’y trouvait. Il perdait définitivement la tête.

« Je— » Il ne savait pas par où commencer. Mais il savait qu’il voulait quelques informations. Et surtout des explications. Car en très peu de temps il avait pris beaucoup trop de choses et rien en faisait sens. « T-tu es là depuis longtemps ? » Il marqua une pause embarrassante. « Je veux dire à New York… » Il se trouvait idiot. Il se passa nerveusement une main dans les cheveux ou du moins dans ce qu’il en restait. Elle le regardait trop intensément et il ne savait où se mettre. Surtout après un tel premier échange. Il sentait que ce n’était pas une bonne idée et qu’il aurait dû prendre ses jambes à son cou quand l’occasion se présentait. Oliver avait néanmoins l’intuition qu’il avait pris la bonne décision. Il fallait clore le chapitre, panser ses plaies en mettant les choses à plat. Ert sans Mayes il en était incapable.

C'est un peu stupéfaite qu'elle le regarda se rapprocher de l'appartement et l'y suivre, comme si elle s'adressait désormais à quelqu'un de sensé alors que quelques instants auparavant il se comportait comme un enfant. Elle ne fit pas de commentaire à ce sujet, car elle n'était pas une enfant et ne souhaitait pas envenimer les choses, et fit mine de refermer la porte derrière eux quand elle repéra les gobelets de café posés par terre. Et elle leva les yeux au ciel avec une telle exaspération qu'elle fut heureuse de lui tourner le dos à cet instant précis de sa vie pour ne pas trahir le fait qu'elle était peut-être aussi un peu une enfant, au fond. Elle les ramassa sans faire la moindre remarque sur la puérilité dont il pouvait parfois faire preuve et referma à nouveau la porte avant de le rejoindre dans l'appartement de Hoyt. Et l'atmosphère cessa soudain d'être aussi vivifiante qu'elle l'avait été pour Mayes à peine trente secondes plus tôt pour devenir franchement oppressante. Parce qu'elle se retrouvait enfermée avec Oliver Prewett après l'altercation la plus mature qu'ils aient jamais eue, et que c'était le bordel (son bordel) dans le salon au milieu duquel ils se tenaient à présent, et qu'elle n'avait rien d'autre à quoi se cramponner que des cafés tout juste tièdes.
Ollie n'avait l'air que modérément plus à l'aise qu'elle, et cela eut au moins l'avantage de la rassurer un peu. Aussi, lorsqu'il lui demanda depuis combien de temps elle était là, elle n'hésita pas ni ne bafouilla : « Un peu plus de deux semaines. » Et elle ne sut pas trop quoi dire d'autre, alors après l'avoir fixé pendant un bon moment sans bouger, elle alla déposer les tasses cartonnées sur la table tout en ajoutant, d'un ton qui se voulait presque blagueur : « Si jamais tu veux du café, sers-toi. »
Elle revint vers lui, lui passa devant, lui tourna autour sans plus trop oser le regarder parce qu'elle n'avait vraiment pas réfléchi avant de lui proposer de rentrer, ou peut-être n'avait-elle pas envisagé qu'il accepte de rentrer après s'être fait secouer les puces, sauf que maintenant il était là et elle ne trouvait rien de mieux à faire pour se donner une contenance que ramasser la couverture dans laquelle elle était blottie quelques minutes auparavant, refermer le livre sur lequel elle s'était endormie la veille au soir, et retirer la montagne d'oreillers qui ornaient le canapé pour lui désigner l'espace désormais disponible, comme pour l'inviter à s'asseoir, s'il le souhaitait. Tout en s'activant, elle s'efforça de se montrer un peu plus détaillée dans ses propos. C'était elle qui voulait parler après tout, qui voulait lui expliquer, qui voulait lui raconter toute sa vie, puisqu'elle était convaincue de connaître déjà chaque détail de celle d'Ollie et qu'elle voyait mal comment prétendre que ce n'était pas le cas. « C'était pas trop prévu, que je revienne, ça s'est décidé un peu précipitamment, comme tu l'auras compris. Du coup je vis chez Hoyt pour le moment. » Elle finit par s'asseoir sur le canapé et lui lança un regard timide. « C'est assez temporaire comme configuration. J'ai l'intention de trouver un truc plus stable. » J'ai l'intention de rester, espéra-t-elle dire à travers ces mots.

Il se trouvait finalement à l’intérieur de cet appartement qu’il avait eu l’opportunité d’entrapercevoir auparavant. Le décor semblait toutefois plus chaotique, Mayella semblant avoir élu domicile sur le canapé. Il observa les coins, tentant d’oublier le fait qu’il se retrouvait dans la même pièce que Mayes, ce qui avait pour effet d’être oppressant. Incapable de se détendre, il fourra ses mains dans ses poches, restant dressé maladroitement au milieu de la pièce alors qu’elle s’agitait. Il eut toutefois une réponse à sa première question. Quinze jours qu’Hoyt lui cachait ça. Quinze jours qu’il se faisait berner. Quinze jours pendant lesquels ils avaient dû partager la même pièce sans le savoir. Ca lui fit mal au cœur de s’en rendre compte. Elle tenta une blague, qui n’extirpa aucun son à Oliver. Il n’avait pas le cœur à rire. Il pensa aux petites pilules au fond de sa poche, qu’il caressait du bout du doigt et dont il avait férocement envie. Mais ce n’était ni le moment, ni l’endroit.

D’un geste de la tête, elle l'enjoignit à s’asseoir. Mais il refusa poliment l’invitation, préférant rester debout. « Merci, ça ira. » Elle ne cessa néanmoins de s’activer le contournant et il pouvait sentir son regard inquisiteur sur lui. « C’était pas trop prévu, que je revienne, ça s'est décidé un peu précipitamment, comme tu l'auras compris. Du coup je vis chez Hoyt pour le moment. C'est assez temporaire comme configuration. J'ai l'intention de trouver un truc plus stable. » Elle s’assit et lui jeta un regard transperçant. Il ne comprenait pas ce qu’elle attendait de lui, ce qu’elle cherchait à faire. Un coup elle lui déclarait qu’elle était revenue pour lui grosso modo, l’autre que ce n’était pas prévu, comme si elle avait été foutue à la porte. Et Ollie ne savait plus à quel saint se vouer. Il avait envie de la croire, avait voulu entendre qu’il lui avait manqué, à tel point qu’elle était revenue le chercher. Mais après deux ans, ça paraissait peu probable. Et cette vérité était douloureuse à entendre. Mayella n’avait pas forcément pris la décision de revenir vers lui, vers eux ; elle y avait été sans doute forcée.

« T’étais là le soir au concert au Vangard ? » Demanda-t-il de but en blanc, presque accusateur. Il prenait son temps, enregistrait information après information, souhaitant en savoir le plus possible. « C’est pour ça que tu as parler de la reprise des Ramones. » C’était assez évident. Mais il avait besoin de l’entendre de sa bouche. Cependant quelque chose changea dans son cerveau et tout se précipita. « Pourquoi t’es pas venue me voir ? Tu comptais que je te tombe dessus comme aujourd’hui ? T’aurais attendu combien de temps si j'étais pas venu ce matin ? » Les questions s’enchaînaient finalement, parce que son cerveau allait trop vite, parce qu’il ne pouvait plus attendre, parce qu’il devait savoir pour son propre bien. Il avait la voix rayée, qui se prenait les pieds dans le tapis sur certains mots, parce que l’émotion l’envahissait à la prise de conscience qu’elle ne serait sans doute jamais venue le trouver. « Je pense pas que tu sois revenue parce que je te manquais Mayes. »

Il s'en fichait visiblement de savoir qu'elle comptait rester, parce qu'il passa à autre chose si rapidement qu'elle eut du mal à ne pas se vexer. Mais elle ne se vexa pas, car il venait d'attaquer de plein front un sujet qu'elle aurait voulu enterrer à tout jamais. Le concert. Celui où elle s'était pointée, guillerette, naïve et stupide, un peu décidée à aller parler à Oliver parce qu'elle comptait sur l'euphorie du moment pour que tout se passe bien. Celui d'où elle était repartie épuisée, dégoulinante de larmes et des vertiges plein la tête car rien ne s'était bien passé. Elle hocha timidement la tête lorsqu'il lui demanda si elle y était vraiment ce soir-là, espérant qu'il ne s'attarderait pas sur une telle broutille mais Oliver était apparemment d'humeur à s'attarder sur des broutilles. Et c'était bien fait pour elle, elle n'avait qu'à pas avoir fait référence à cette chanson stupide dont la simple pensée lui foutait presque le tournis. Il lui asséna trois questions à la gueule, chacune plus incriminante que la précédente, et elle ne voyait clairement plus trop comment être honnête sans se ridiculiser. « Pourquoi t’es pas venue me voir ? Tu comptais que je te tombe dessus comme aujourd’hui ? T’aurais attendu combien de temps si j'étais pas venu ce matin ? » Un soupir s'échappa d'entre ses lèvres et elle replia ses jambes sur le canapé pour entourer ses genoux de ses bras, résignée à entrer dans des détails qu'elle tentait un peu d'oublier. « J'étais venue au Vangard pour te parler. » Et c'était vrai, ça. Elle était sortie de l'appartement de Hoyt avec la ferme intention de se pointer devant Ollie, sauf que cette intention s'était évaporée quelque part entre son trajet jusqu'au bar et le moment où elle avait failli vomir ses tripes sur le trottoir avec la douce voix de la nouvelle copine d'Oliver dans les oreilles. « Mais il y a eu un contretemps. Il y a eu la chanson, là, et puis... » Elle hésita, ouvrit la bouche, la referma, et se cramponna à un tout petit mensonge qui n'en était pas vraiment un, qui n'était qu'une simple ellipse. « Et puis j'ai rencontré ta copine. » Voilà. Parfait. Elle ne sentit pas sa voix dérailler en prononçant ces mots, pas plus qu'elle ne dut cligner des yeux pour chasser deux-trois larmes sournoises, et elle ne regretta pas non plus d'avoir préféré penser à la jeune femme de l'autre soir plutôt que de parler de la réaction qu'avait provoquée la chanson, car c'était tellement plus agréable de penser à la jeune femme de l'autre soir et au fait qu'elle avait passé la nuit à pleurnicher dans le lit de Hoyt. Oui.

« Je pense pas que tu sois revenue parce que je te manquais Mayes. » Et là, là, elle leva le regard vers lui tellement brusquement qu'elle en eut un élancement dans le cou, parce que quoi ? Elle le fixa, hébétée, un peu scandalisée qu'il la traite de menteuse mais surtout terriblement perplexe quant à ce qu'il insinuait. Où diable voulait-il en venir, le bougre ? Honnêtement, honnêtement, elle n'avait aucune idée de ce qu'il tentait de lui dire. C'était un fait, un fait pur et dur, un fait dont tout son maigre entourage avait conscience, et il remettait ça en cause, sans avoir la moindre idée de ce qu'il disait. Et pourtant, cela suffit à foutre le doute dans la tête de Mayes, parce que tout le monde savait que personne ne la connaissait aussi mal qu'elle-même, et peut-être qu'elle se trompait sur toute la ligne et que ce n'était pas pour Oliver qu'elle était revenue. « Pourquoi tu penses que je suis revenue ? » s'enquit-elle d'une toute petite voix qui craignait qu'on lui annonce qu'elle déraillait à nouveau.

Oliver pouvait lire chacun de ses gestes, chacune de ses expressions. Il la connaissait, savait ce que plusieurs clignements de cils ou ce minuscule mouvement de la lèvre inférieur pouvaient vouloir dire. Mais si ces indications lui donnaient le ton, elle ne pouvait révéler la réalité. Il savait qu’il venait de pousser le bouchon un peu trop loin, qu’il venait de franchir une limite en insistant autant et le retour de bâton ne se fit pas attendre. « Et puis j'ai rencontré ta copine. » Outch. Il ne s’y attendait pas à celle-ci, bien qu’il soit pleinement de la présence de Rosie au Vangard ce soir-là. Il déglutit, soudainement embarrassé. « Je—hmm—» Bafouilla Oliver, sans voix. Un air penaud apparu sur son visage alors qu’il décida de se concentrer sur ses chaussures et non Mayes et son regard accusateur. Il se sentait soudainement merdeux. Parce que Mayes avait rencontré Rosie, parce qu’il avait décidé de rentrer dans cet appartement en compagnie de Mayes et que Rosie n’avait aucunement connaissance de leur passif. Mayella n’était que la petite sœur d’Hoyt à ses yeux, rien de plus. Il n’avait jamais voulu s’étendre sur le sujet ; leur histoire lui appartenait.

Alors, comme pour se rattraper aux branches, pour garder de la contenance, il lui lança ce qu’il pensait au fond : qu’elle n’était pas revenue pour lui. Et ça lui fit mal au cœur, mal de l’évoquer à voix haute. Il se décida à relever la tête, regarder Mayella dans les yeux. Elle ne broncha pas mais releva brusquement le visage vers lui, étonnée. « Pourquoi tu penses que je suis revenue ? » s'enquit-elle d'une toute petite voix. Et la douleur ne cessa de s’étendre à mesure que cette petite voix résonnait dans son crâne. Il en avait presque le tournis. Il prit plusieurs inspirations avant de lui répondre. Pourquoi ? Elle seule pouvait vraiment le savoir ; lui ne faisait que des supputations, des hypothèses tirés des propres dires de la jeune femme. « Je sais pas. Tu l’as dit toi-même, c’était pas prévu, ça s’est décidé précipitamment . Ca ne fait pas très réfléchi comme décision. Et même si j’ai attendu des mois que tu me dises exactement ça, que je t’avais manqué, que tu revenais pour moi, aujourd’hui ils sonnent faux ces mots. » Sa voix déraya légèrement sur ses aveux. Il dut s’y prendre à deux fois pour ajouter un pitoyable : « Je ne dis pas que tu mens Mayes, mais--- mais les circonstances de ton retour me paraissent plutôt troubles ? » Il déglutit bruyamment, ravalant ses larmes et sa fierté. Il manquait terriblement de sommeil, d’un petit remontant et toutes ses retrouvailles étaient beaucoup trop de si bon matin. Dans sa poche, son portable vibra à nouveau, brisant le moment. Il n’eut pas à le regarder cette fois pour savoir que c’était une fois de plus Hoyt. Sauver par le gong ?

Mayella l'écouta patiemment lui expliquer le fond de sa pensée, et elle ne put que froncer les sourcils, interdite. Sous prétexte que sa décision n'avait pas fait l'objet d'une longue et mûre réflexion – lui arrivait-il seulement de prendre une quelconque décision après longue et mûre réflexion ? –, elle ne pouvait pas avoir été motivée par un besoin irrépressible de ramener son minois dans la vie d'Oliver ? Pour le coup, ce qu'Oliver disait n'avait aucun sens, et témoignait plutôt d'une féroce volonté de rester dans le déni. Il avait peut-être besoin de lui refuser ça pour continuer à la détester, de s'imaginer qu'elle cachait quelque chose et qu'elle venait pas pure envie de foutre le bazar dans la vie parfaite d'Oliver Prewett des Doom Days. Sauf que ce n'était pas le cas, et elle était prête à le reformuler autant de fois que nécessaire. Et elle voyait qu'il avait besoin qu'elle reformule, qu'elle le rassure, (qu'elle lui répète qu'il lui manquait ?). Et elle voyait qu'il était crevé et qu'il avait les yeux au moins aussi rouges que les siens et ça lui retourna un peu l'estomac.
Elle s'apprêtait à lui répéter qu'ils n'avaient rien de faux, ces mots, lorsqu'elle entendit le téléphone du jeune homme se mettre encore à vibrer. « C'est Hoyt ? » s'enquit-elle sans vraiment attendre de réponse, étirant déjà son corps vers la table basse pur y récupérer son téléphone qu'elle eut vite fait de dénicher. Elle dévérouilla rapidement l'écran, ouvrit ses SMS et tapa un fébrile Oliver est avec moi qu'elle envoya à son frère. Il fallut peut-être quinze secondes après que le téléphone d'Oliver eut cessé de vibrer pour qu'elle reçoive une réponse. Azsdfghjklm. Cela lui arracha un rire étranglé.
Elle reposa le téléphone à côté d'elle sur le canapé qu'Oliver ignorait royalement, et reprit : « Hum... Pour être honnête, je sais pas trop quoi te répondre. Ma psy s'est mise d'accord avec elle-même pour décréter que j'allais mieux, alors j'ai fait mes valises, acheté un billet d'avion, et je suis venue ici. Il y a pas d'explication rationnelle. J'ai juste eu besoin d'être là. » Elle parlait lentement et avait vaguement l'impression de s'adresser à un enfant un peu lent, mais ce n'était pas tant par condescendance que parce qu'elle ignorait ce qu'Oliver cherchait dans ses propos, et elle était prête à aller jusqu'à épeler chacun de ses mots si ça lui permettait de montrer sa sincérité.

« C'est Hoyt ? » Demanda-t-elle sans réellement attendre de réponse car déjà, elle se saisissait de son propre portable. Oliver hocha toutefois la tête, son portable vibrant toujours dans sa poche. « Qui d’autre ? » dit-il d’une voix morne, sans attendre de réponse en retour non plus. Il l’observa taper rapidement un texto et en recevoir un autre tout aussi rapidement. Une pointe de curiosité le piqua quand il entendit un rire étranglé provenir de Mayella, mais aussi immédiatement, il se renfrogna. Il n’était pas sur de vouloir savoir ce qu’il se tramait.

« Hum... Pour être honnête, je sais pas trop quoi te répondre. Ma psy s'est mise d'accord avec elle-même pour décréter que j'allais mieux, alors j'ai fait mes valises, acheté un billet d'avion, et je suis venue ici. Il y a pas d'explication rationnelle. J'ai juste eu besoin d'être là. » Elle avait parlé lentement, détachant précautionneusement les mots les uns des autres. Ce ton avait l’air condescendant, mais Oliver souhaita y voir une manière d’y insérer de la clarté, de la sincérité. Et même si ce genre d’aveu foutait en l’air ses pensées et mettait le bazar dans ses certitudes, une part de lui voulait y croire. Et pourtant il resta silencieux pendant de longues minutes. Une éternité.

« T’as juste attendu d’aller mieux pour revenir ? » Il savait que son regard trahissait sa douleur. Mais il n’était plus embarrassé. Il voulait la regarder droit dans les yeux. Qu’elle comprenne elle aussi ce que ça avait été de ne pas avoir d’explication. D’être abandonné. « T’as jamais eu besoin d’être là avant ? » Il prit soin d’insister sur ce dernier mot. Parce qu’il était pénible qu’elle avait juste besoin d’être là maintenant, après deux ans. Alors ça pouvait ressembler à des reproches déguisés en questions, mais il semblait à Oliver qu’être là maintenant était trop tard. « J’aurais pu tout accepter Mayes. Que tu aies besoin de prendre du temps pour toi, pour retrouver ton père ou que sais-je. Mais t’as décidé de te tirer du jour au lendemain sans explication. Et tu as juste besoin d’être là maintenant, deux ans après. » Il était comme à bout de souffle, en bout de course. Il avait l’impression de lutter. Lutter pour se faire comprendre, lutter pour la comprendre, lutter contre ses émotions et tous ses démons. « Je suis vraiment heureux que tu ailles mieux. C’est ce que j’ai toujours souhaité pour toi. Mais –» Mais quoi ? Quoi ? Ils pourraient tout reprendre à nouveau. Elle était là, sous ses yeux. En meilleur état que lui, en meilleur état qu’avant. Il se prit le visage dans les mains et le frotta vigoureusement. Rien ne faisait plus sens. S’il s’était imaginé un instant qu’il la trouverait ce matin… Serait-il venu ?

« T’as juste attendu d’aller mieux pour revenir ? » Voilà. C'était comme ça qu'il avait choisi de briser le silence qui s'était installé. Et. Putain. Putain, putain, putain. Elle en eut le souffle coupé. Les intestins entortillés. Et les joues inondées. Elle ne se rendit pas trop compte qu'elle pleurait parce qu'elle était trop occupée à se répéter juste attendu, juste attendu, encore et encore comme pour se convaincre qu'il venait sincèrement de dire ça. Qu'il venait sincèrement de réduire toutes les raisons pour lesquelles elle était partie à un juste, qu'il venait sincèrement d'insinuer qu'elle n'avait fait qu'attendre de guérir, pendant ces deux ans, comme si elle n'avait eu aucun effort à fournir et qu'elle n'avait pas failli tout laisser tomber et envoyer une lettre à son père pour lui dire qu'elle allait rentrer à la maison à attendre qu'il sorte de prison et qu'il advienne bien ce qu'il adviendrait, comme si elle n'avait pas eu à se dire des choses gentilles dans le miroir tous les jours en se sentant stupide et en sentant le regard plein de pitié d'une mère qu'elle ne connaissait pas, comme si elle n'avait pas été tentée de jeter une tasse au visage de sa thérapeute quand celle-ci évoquait des choses déplaisantes. Comme si elle était partie en vacances à juste attendre.
Elle eut envie de le traiter de petit con, de lui dire pourquoi elle s'était tirée du jour au lendemain sans explication, mais elle ne pouvait pas faire ça parce qu'il aurait compris et que ça aurait été cruel et elle avait appris à ne plus faire ça pendant qu'elle attendait juste, et elle était de toute manière trop occupée à essayer d'arrêter de pleurer pour le priver de la satisfaction malsaine qu'il devait chercher en lui balançant ça à la gueule.
Et puis il ne lui laissait pas tellement le temps d'en placer une, de toute façon, trop occupé qu'il était à chercher la bonne formulation pour la faire craquer. Elle ne savait pas trop ce qu'il espérait, comme réaction – qu'elle éclate en sanglots en implorant son pardon, ou qu'elle foute en l'air tous ses progrès en lui propulsant un livre sur son crâne rasé ? Alors, comme elle restait un peu accrochée à sa fierté et qu'elle ne voulait pas prendre le risque de faire ce qu'il attendait, elle inspira à fond, d'un coup d'un seul, s'essuya les yeux avec son t-shirt dans un geste rageur, et s'éclaircit la gorge tout en se redressant. « Je crois qu'il vaut mieux que tu t'en ailles, Oliver. »

Il ne s’était pas attendu à ça. A ce flot discontinu de larmes surgit de nulle part et qui envahissait à présent le visage de Mayella. Son souffle en fut couper. Ses boyaux se tordirent dans un mouvement que trop familier. Il l’avait fait pleurer. Et ça le tuait à petit feu. Il n’en avait jamais eu l’intention malgré toute la colère en lui, toute sa rancœur et sa peine. Il ne voulait pas la voir pleurer. Il resta quelques secondes silencieux, la regardant de loin, tendu, ne sachant que faire. Après tout, qui était-il pour elle ? Il n’aurait su dire. Alors dans un élan irréfléchi il s’approcha d’elle, prêt à la prendre dans ses bras. Mais, comme si elle avait lu dans ses pensées, elle inspira bruyamment, s’éclaircit la gorge et lui dit d’une voix grave. « Je crois qu'il vaut mieux que tu t'en ailles, Oliver. » Il s’arrêta dans son geste, bras à mi-hauteur, comme sonné par son ordre à demi masqué. « Je— » dit-il confus. Il s’éloigna doucement à reculons. Un pas, puis deux, bientôt trois. Les larmes ne tarissaient pas mais son visage arborait un regard sévère. Ollie se passa une main dans les cheveux.

« J’y vais, j’y vais… » murmura-t-il, tout en essayant de se donner de la contenance en fouillant dans ses poches. Promptement, il lui tourna le dos, agité, confus, coupable, afin de quitter le lieu du drame au plus vite. Mais, presque indicible, son oreille capta un reniflement. Un infime bruit, comme caché à l’ouïe du jeune homme. Et cela suffit à le convaincre. Il fit demi-tour et en deux enjambés il se retrouvait devant elle, l’enveloppant de ses grands bras. Une larme lui coula sur la joue. Il la tint bien serré dans ses bras, appuya son visage contre le haut de son crâne. Son cœur battait à tout rompre alors qu’il s’attendait à un retour de bâton sévère. « Pardon » lui souffla t-il rapidement, apeuré de sa prochaine réaction. « Pardon Mayes… »

Et bien sûr qu'elle lui avait expréssément demandé partir, bien sûr qu'il était logique qu'il s'en aille, donc, mais ça ne l'empêcha pas de se remettre à pleurer allègrement dans son t-shirt dès qu'il eut le dos tourné. Elle ne voulait pas qu'il s'en aille. Elle ne voulait pas qu'il la déteste. Elle ne voulait pas qu'il la voie comme une fuyarde. Elle ne voulait pas qu'il reprenne sa vie tranquillement comme il la vivait jusqu'alors, sans elle, et sans qu'elle lui manque. Parce qu'il pouvait dire ce qu'il voulait, c'était bien lui au final qui avait réussi sa vie pendant qu'elle se raccrochait aux branches pour survivre. Et elle ne lui l'avait pas reproché, ça. Elle ne lui avait pas reproché de lui avoir volé son frère. Elle ne lui avait pas reproché d'avoir sorti son album. Elle ne lui avait pas reproché d'avoir trouvé quelqu'un d'autre.
Et d'un coup, il fut de nouveau là. D'un coup, elle fut contre lui, dans ses bras, le corps déchiré par ses sanglots qui n'avaient manifestement qu'attendu Oliver pour se déverser en un flot intarissable. Elle enserra ses bras autour de sa taille, et pressa, pressa, pressa aussi fort qu'elle le pouvait en hoquetant des « chut » incohérents parce qu'il s'excusait et qu'il ne devait pas s'excuser, qu'il n'avait pas à s'excuser et qu'elle ne voulait pas le laisser s'excuser. Et elle était là, la tête enfouie dans le t-shirt d'Oliver et elle le sentait partout autour d'elle, et elle pressait pressait pressait son corps contre le sien dans l'espoir d'obtenir de lui autre chose que de la colère et du ressentiment, dans l'espoir peut-être de se sentir moins seule et ridicule dans ses pleurs, parce qu'elle avait beau dissimuler son visage juste là, dans le creux de son cou, elle n'en sanglotait pas moins, sans trop savoir pourquoi. Et comme son visage était bien coincé contre le tissu du t-shirt d'Oliver et qu'elle se savait inintelligible, elle se permit une toute petite, minuscule, risible confidence. « Tu me manques tellement. »

Ses bras vinrent enlacer sa taille et à ce moment, le cœur d’Ollie crut exploser. Elle se pressa et pressa contre lui, toujours plus enfouie dans son t-shirt, dans son étreinte. Aucune drogue n’aurait pu lui donner ce sentiment de plénitude qui lui avait tant manqué ces deux dernières années. Elle était là. Là où elle aurait toujours dû être. Tout contre lui.

Les larmes ne semblaient pas s’arrêter, alors Oliver serra un peu plus fort, comme pour la protéger du monde extérieur. Allant jusqu’à doucement frotter son visage contre son crâne dans un geste qui se voulait tendre. Il avait tellement de chose à lui dire, mais ne savait pas où commencer. Alors il laissa le silence les entourer, brisé parfois par des hoquets de la jeune femme. Et soudain une toute petite voix se répercuta contre sa cage thoracique. « Tu me manques tellement. » Finalement c’est sans doute à ce moment-là que son cœur explosa. Il en eut le souffle coupé un instant, et resserra son étreinte autour de Mayella. Il ne répondit pas tout de suite, laissa les mots s’ancrer dans son crâne, doucement, surement. Il voulait s’en souvenir. Il voulait se les remémorer quand la douleur serrait trop vive. Quand il se souviendrait qu’elle était partie pendant deux ans.

« Toi aussi, toi aussi ». Souffla-t-il en retour. Parce que c’était vrai. Elle lui manquait. Tous les jours. Et rien n’y changeait. Ni les filles, ni Rosie, ni le succès. Il n’y avait jamais eu qu’elle. Mais, une petite voix vicieuse et sournoise se mit à résonner dans sa boite crânienne. Elle ne restera pas. Elle repartira tout aussi vite. Sans un mot. Protège toi. Protège toi.  

Il s'écoula peut-être cinq minutes, durant lesquelles elle resta ainsi cramponnée au corps si familier et pourtant si inconnu d'Oliver. Cinq minutes, durant lesquelles elle ne pensa pas vraiment à grand chose, si ce n'est à la douceur dont il faisait preuve alors qu'elle se vidait de ses larmes et imbibait son t-shirt de morve. Cinq minuscules minutes, à l'issue desquelles elle finit par se calmer, mais resta tout de même dissimulée contre Ollie, à la fois embarrassée d'avoir cédé si brusquement aux émotions qu'elle cherchait à ensevelir depuis des mois sous des couches successives de calme, de contrôle et d'abnégation, mais surtout trop confortablement installée pour envisager de bouger. Elle resterait comme ça jusqu'à ce qu'il la chasse, et peut-être même opposerait-elle une certaine résistance s'il en arrivait là.
« C'était pas des vacances pour moi,» balbutia-t-elle après coup, comme si elle se souvenait tout juste de la raison pour laquelle elle s'était mise à pleurer. Et elle avait beau presser sa bouche aussi solidement que possible contre la clavicule d'Ollie, elle savait qu'il l'entendait, parce qu'il l'avait entendue quand elle lui avait dit qu'il lui manquait, et il avait répondu que lui aussi, et elle le croyait, un peu. Trop, peut-être. « C'était même assez terrible. Je me suis fait– » Elle s'interrompit en plein milieu de sa phrase, alors qu'elle était disposée à rentrer dans quelques détails (pas trop, non plus, jamais trop), parce qu'elle sentit le téléphone du jeune homme vibrer, aussi brusquement qu'obstinément, contre sa cuisse. Et elle savait que ce n'était pas Hoyt. Et si ce n'était pas Hoyt, ça ne pouvait décemment être qu'une autre personne. Et voilà qu'elle était à nouveau en train de penser à la jeune femme de l'autre soir.
Presque comme si elle venait de se prendre une décharge électrique, Mayella se détacha du corps d'Oliver, s'éloigna de deux pas, s'éclaircit bruyamment la gorge pour reprendre un semblant de contenance, arrangea son t-shirt qui était un tout petit peu remonté au cours de leur étreinte, et refusa obstinément de le regarder dans les yeux lorsqu'elle balbutia « je pense qu'il vaut mieux que tu répondes. »

Oliver aimait ce contact. Il en était même insatiable pour être honnête. Il aimait la sentir là, au creux de ses bras, son souffle caressant sa clavicule, ses mains autour de sa taille. Tout ça le ramenait soudainement dans le passé, dans ce petit appartement d’Oak Grove où tout avait commencé. C’était doux, c’était tendre. L’amertume l’avait quitté le temps de cette étreinte. Elle lui avait tellement manqué.

Il n’était pas prêt de la laisser partir. Il aurait pu rester comme ça pendant des heures. Alors il posa son visage de manière confortable sur le crâne de Mayes, joue contre ses cheveux, paupières closes. Une de ses mains lui caressaient le dos pour l’aider à se calmer, ayant déjà eu ce geste par le passé et connaissant son pouvoir. S’il avait été aventurier, il l’aurait presque bercé, se basculant légèrement d’un pied sur l’autre mais il n’en fit rien. Il se contenta de prendre ce qu’elle lui donnait, le temps qu’ils leur avaient été donnés.

« C'était pas des vacances pour moi,» bredouilla-t-elle tout contre lui. Il s’attacha à ne rien dire, à reste attentif à ce qu’elle lui disait. « C'était même assez terrible. Je me suis fait– » A ces mots, son cœur se serra. Tu t’es faite quoi Mayella ?

Mais soudain, son portable se mit de nouveau à vibrer dans sa poche et il le maudit intérieurement. Il eut envie de le jeter contre le mur le plus proche mais s’abstint, voulant que cette étreinte ne se brise jamais. Mais déjà, Mayella s’échappait, s’éloigna trop rapidement à son goût, et d’une voix qui se voulait mature et posée lui enjoint de répondre. Mais il ne voulait pas. Il ne voulait même pas regarder qui était le trouble-fête. Peu lui importait sur le moment. « Mayes, reviens, » dit-il en désespoir de cause, faisant un pas vers elle. « Je répondrais pas. » Il tendit une main vers elle sans toutefois la toucher. « Raconte-moi s’il te plait. »