i thought i'd never see you again

Elle avait très envie de l'écouter et de revenir se lover dans ses bras pour ne plus en bouger, très envie de l'entendre l'appeler Mayes encore et encore (et encore) – elle avait tenté de ne pas y faire attention, au fait qu'il l'appelait encore Mayes et que cela constituait la plus belle victoire de son début de journée chaotique, parce qu'elle restait Mayes, même après deux ans loin de lui, même après deux ans à ne pas avoir entendu ce surnom, mais elle n'arrivait plus à ignorer la manière dont son coeur papillonnait dans sa cage thoracique à chaque fois que la voix d'Oliver lâchait, de cette façon à la fois si intense et si ordinaire. Elle ne pouvait toutefois pas se permettre de se jeter à nouveau contre lui, ni de l'implorer de dire son nom encore une bonne vingtaine de fois, pas quand planait au-dessus d'eux la présence de la jeune femme de l'autre soir. Et il avait certes eu la décence de paraître embarrassé lorsque la jeune femme de l'autre soir – c'était quoi son nom, bon sang, elle en avait marre de l'appeler comme ça dans sa tête, rien que pour ça il fallait qu'il réponde et l'appelle par son prénom et l'affaire serait réglée – avait été mentionnée, mais cela ne changeait rien.

Alors quand il lui indiqua ne pas avoir l'intention de répondre (pour l'épargner elle ou pour s'épargner lui-même, elle n'aurait su le dire), elle s'empressa d'expédier ce qu'elle était sur le point de dire avant qu'ils soient interrompus, histoire de pouvoir régler l'affaire de LJFDLAS (la jeune femme de l'autre soir). « Je me suis fait jeter par mon père, » lâcha-t-elle dans un haussement d'épaules qui visait clairement à minimiser l'ampleur de la confession. « Enfin mon autre père, je veux dire. Pas celui d'Oak Grove. » Elle s'emmêlait un peu les pinceaux, parfois, avec tous ces pères qui n'en étaient pas vraiment mais qu'elle ne parvenait pas à se résoudre à appeler autrement. Ne serait-ce que pour alimenter ses illusions. « Mais on pourra en parler après, ou Hoyt pourra te raconter. Ou pas, d'ailleurs, si tu veux pas. Mais réponds-lui, ou rappelle-la, » articula-t-elle en esquissant un geste vers la poche d'Ollie, parce qu'elle éprouvait un besoin presque masochiste de l'entendre parler à quelqu'un d'autre comme il avait pu lui parler fut un temps. Et si elle avait jusqu'alors déjà eu quelques doutes, cette simple pensée suffit à lui confirmer qu'il y avait définitivement des choses dans un cerveau que toute thérapie, aussi scrupuleuse fût-elle, ne pouvait pas reconfigurer.

« Je me suis fait jeter par mon père… Enfin mon autre père, je veux dire. Pas celui d'Oak Grove. » Il en resta pantois. Il ne s’y attendait. Evidemment, de nombreuses fois, Oliver s’était questionné sur son départ et en avait déduit qu’elle avait rejoint ce père qu’elle n’avait jamais connu. Il imaginait dans le même temps qu’elle coulait des jours heureux autour d’une famille saine et aimante. Après tout, c’était tout ce qu’il lui souhaitait. Il s’avéra que la vérité fut tout autre, et cela lui pinça le cœur. La connaissant, il se doutait qu’elle avait fondé beaucoup d’espoir dans cette figure paternelle inconnue. Dans le fond elle avait raison, il ne pouvait être pire que Curtis. Mais, une fois de plus, il était un homme de plus à l’avoir abandonné. Il n’y avait pas à aller très loin pour comprendre son choix dans son départ.

Il allait ouvrir la bouche, s’apprêtait à faire un geste, avoir un mot pour la consoler, la cajoler mais Mayes décida de couper court à ce moment, changeant clairement de sujet. « Mais on pourra en parler après, ou Hoyt pourra te raconter. Ou pas, d'ailleurs, si tu veux pas. Mais réponds-lui, ou rappelle-la…» Il avait envie de lui dire qu’il voulait parler, il ne souhaitait que ça depuis deux ans. Mais son esprit resta bloqué sur le rappelle-la. Elle savait. Elle savait et ça le perturbait profondément. Il aurait aimé que Rosie reste en dehors de tout ça, à jamais. Qu’il puisse avoir le temps d’intégrer ce qu’il lui arrivait. Qu’il puisse avoir le temps de comprendre où il en était avec Mayes. Avec Rosie aussi. Cependant, Mayella en avait décidé autrement et ce regard ferme qu’elle posait sur lui lui remit les pieds sur terre.

Oliver recula d’un pas, attrapa son portable qui ne vibrait définitivement plus. Un appel manqué : Rosie. Il le regarda un instant, le cœur lourd. Une pointe de culpabilité s’empara de lui alors qu’il pensa à remettre le portable là où il se trouvait quelques minutes auparavant. Il releva les yeux, et sentit se refermer au fur et à mesure que le silence s’étirait. Il balbutia : « Je ferais mieux d’y aller », rangea le portable bien au fond de sa poche, eut un mouvement nerveux s’approchant de Mayes uis s’écartant ne sachant même pas ce qu’il comptait faire : l’embrasser, l’étreindre ? Il déglutit avec difficulté, eut un sourire étrange, plus proche de la grimace anxieuse qu’autre chose et fit doucement demi-tour en se dirigeant vers la porte. C’était sans doute pour le mieux.

Elle put lire très distinctement sur le visage d'Oliver qu'elle avait visé juste. Et qu'elle aurait mieux fait de se taire, sans doute. Elle le voyait lui filer entre les doigts et ne comprit pas trop comment c'était possible. Ils n'avaient fait que ça, depuis qu'elle avait ouvert la porte – jouer au chat et à la souris. Elle s'était dit qu'ils leur suffirait de s'asseoir et de parler pour qu'ils cessent de se courir après comme ça, mais ils n'étaient même pas arrivés au stade où l'on s'asseyait et où l'on parlait. Et c'était peut-être (un peu) la faute de Mayella, d'ailleurs. C'était elle qui avait enchaîné toutes les diverses conneries qui avaient bouleversé l'ordre des choses toutes les trente secondes. Alors peut-être qu'elle s'était trompée. Peut-être que parler ne servirait à rien. Parce que peut-être qu'elle n'était pas prête. Et qu'elle allait trop vite en besogne, qu'elle se précipitait sur chaque centimètre d'attention qu'Oliver lui cédait, qu'elle se mêlait de ce qui ne la regardait pas. Parce que c'était peut-être elle, l'enfant, en fin de compte.
Et comme une enfant, elle n'était pas disposée à perdre ce qu'elle voulait, et là, maintenant, tout de suite, elle voulait juste qu'Oliver reste. Et qu'il lui parle, aussi, car il devenait assez évident qu'elle ne savait pas autant de choses sur ce qu'il était devenu qu'elle aimait le croire. Alors là, maintenant, tout de suite, alors qu'il s'effaçait en répétant pour la trois-cent-millième fois de la matinée qu'il ferait mieux d'y aller, elle se saisit de son poignet, pressa doucement ses doigts contre sa peau, et s'abaissa à faire quelque chose qu'elle avait catégoriquement refusé de faire jusqu'à présent – supplier. « Ollie– Oliver... Reste. S'il te plait. Juste un peu. On parlera pas d'elle. On parlera de ce que tu veux. Mais reste un tout petit peu ? »

Il était là, sur le point de partir. Il aurait voulu rester, mais une part consciente, adulte, lui disait qu’il fallait qu’il parte maintenant. Que c’était le moment. Que les choses pouvaient encore mal tourner et qu’il valait mieux en rester sur une note douce. Mais soudain, il sentit les doigts de la jeune femme contre la peau nue de son poignet et cela eut l’effet d’une décharge électrique. Il se stoppa net. Mais ne se retourna pas tout de suite comme tétanisé par l’effet du contact. « Ollie– Oliver... Reste. S'il te plait. Juste un peu. On parlera pas d'elle. On parlera de ce que tu veux. Mais reste un tout petit peu ? » Il ne sut quoi dire. Était-ce vraiment raisonnable ? Sans doute pas. Mais doucement, tout doucement, Oliver se retourna. « Je—Hum—» Balbutia-t-il, sans réponse. Ne pas parler d’elle. Rester un tout petit peu. Il planta son regard dans celui de la jeune femme tentant de comprendre ce qu’elle cherchait, ce qu’elle voulait. Mais il était bien incapable de déchiffrer quoique ce soit excepté sa prière. « Un tout petit peu » s’enquit-il alors à voix basse.

Doucement, tout doucement, il alla s’asseoir sur le canapé, tentant de se faire petit. Il voulait parler depuis si longtemps et elle y était enfin disposé. Il ne pouvait laisser passer l’occasion. Une partie de son esprit se persuadait que c’était le meilleur moyen de passer à autre chose : obtenir quelques informations, suffisamment pour faire la lumière sur ces deux dernières années et peut-être, enfin, trouver la paix. Mais dans le fond, Ollie ne souhaitait que ça, rester. Parce qu’elle était là, finalement revenue à lui et que c’était un putain de miracle. « Raconte-moi alors ce qui t’es arrivée… pendant ces deux ans. » Demanda-t-il d’une voix qui se voulait posée.

Mayella refusa de détourner le regard de celui d'Oliver tant qu'il n'aurait pas accepté de rester. Elle ne libéra pas non plus son poignet, même si elle savait qu'elle aurait lâché prise s'il avait décidé de s'en aller. Mais il ne décida pas de s'en aller. Il consentit à rester, « un tout petit peu », et elle n'en aurait pas cru ses oreilles si elle ne l'avait pas vu s'installer sur le canapé. Alors elle se dépêcha de le rejoindre, consciente que le temps était compté, mais elle s'assit suffisamment loin pour ne pas avoir l'air trop avide.
Et, pour être honnête, elle avait espéré proposer un échange équitable, du style je te raconte un truc – tu me racontes un truc, mais quand il exigea qu'elle lui raconte tout d'un coup, sans qu'il ait à offrir quoi que ce soit en échange, elle ne broncha pas et se lança. Elle avait toujours imaginé pouvoir lui parler de ça sans être pressée par le temps, pouvoir choisir ses mots, choisir ce qu'elle allait raconter et ce qu'elle allait taire, hésiter si besoin, mais c'était un luxe qui lui était refusé ce jour-là, et elle s'y résigna. Alors elle déballa tout ce qu'elle pouvait, de la façon la plus concise et factuelle possible.
Elle lui raconta comment elle s'était rendue à Portland, avait frappé à la porte du professeur Harvey Hartell avec un petit sourire plein d'espoir, comment il l'avait accueillie pendant deux heures, durant lesquelles il lui avait raconté sa rencontre avec sa mère vingt-et-un ans plus tôt avant de lui expliquer qu'il considérait Mayella Milburn comme une erreur qu'il préférait oublier. Comment il l'avait escortée jusqu'à la porte lorsque sa femme était rentrée chez eux, et comment il avait dit à cette dernière que Mayella était une de ses étudiantes. « Il est pas roux cependant, alors peut-être que ma mère s'est trompée de gars et qu'en fait j'ai un autre père quelque part, » conclut-elle l'épisode d'un ton qui se voulait détaché, en regardant par la fenêtre d'une manière aussi naturelle que possible.
« Comme je savais pas quoi faire, j'ai appelé ma mère. J'avais eu son numéro via Hoyt, après, tu sais, l'incident. » Elle lui décrivit brièvement la vie chez sa mère, parla du chiot que cette dernière avait adopté et qui avait eu le mérite de lui tenir compagnie quand sa mère n'était pas là – souvent ; elle était responsable commerciale dans une boîte de parapharmacie, après tout. Elle ne parla pas trop des premiers mois qui étaient simplement « très durs », mais raconta volontiers à quel point cela fut bizarre de vivre avec une femme qu'elle ne connaissait plus et qui ne la connaissait plus, et qui avait des comportements encore plus extrêmes qu'elle – fallait-il rappeler que là où Mayella bourrait la nourriture de ses problèmes avec du somnifère, c'était à l'antigel que sa mère tentait de régler les siens ?
Elle lui parla du musée dans lequel elle avait trouvé un job, qui lui permettait d'économiser pour l'après, même si elle ne savait pas trop ce que c'était, que cet après. Elle évoqua aussi le Dr Linwood, la psy qu'elle avait fini par aller voir et qui lui faisait faire des exercices bizarres et lui faisait télécharger des dizaines d'applications sur son téléphone. Elle commença à décrire sa toute première crise d'angoisse pour ne pas avoir à parler de celle d'il y avait quelques jours, et elle avait déjà décrit les syptômes lorsqu'elle se souvint de ce qui les avait déclenché. « C'était juste une lettre que j'ai reçue, je sais pas trop ce qui s'est passé, » éluda-t-elle du mieux qu'elle put. « J'ai continué à travailler, j'ai continué à voir le Dr Linwood, j'ai continué à prendre chacune de vos chansons personnellement, et j'ai fini par revenir. Parce que tu me manquais. »
Voilà. Elle était un peu à bout de souffle lorsqu'elle s'interrompit, espérant ne pas avoir été trop longue et se demandant s'il lui restait suffisamment de temps pour lui demander de lui raconter, à son tour, ce qui lui était arrivé pendant ces deux ans. Alors juste pour se rassurer, elle lui lança un regard furtif, et tenta un « et toi ? » presque trop léger pour être intelligible.

Oliver était sincèrement curieux de tout ce qui lui était arrivé. Il voulait savoir, comprendre, décortiquer les pourquoi et les comment. Parce qu’après tout, de son côté elle avait un peu pu suivre leur évolution ; la réciproque n’était pas vraie. De fait, Oliver voulait vraiment tout connaître.  Elle lui déballa tout, et il écouta d’une oreille attentive, sans la couper, ni la pressée. Elle parla aussi bien de cette rencontre désastreuse avec son père que de la vie avec sa mère, sans oublier sa psy. Il était étonné de la facilité qu’elle avait à se confier. Cela n’avait pas toujours été comme ça.

Il se nourrit de ce qu’elle dit, fait attention au détail. Elle va même jusqu’à confier les symptômes de sa première crise d’angoisse, et il ne passe pas à côté de cette histoire de lettre plutôt trouble. Toutefois, il ne fit aucune remarque. Elle ne semblait pas en difficulté pour se confier, comme si elle avait préparé tout ce petit discours depuis un moment, ce qui tranquillisa Ollie. Elle avait sans doute bien envisagé de revenir, et avec peu de doute, pour lui. Il ne la quitta pas des yeux, tout au long de son récit, captivé. « J'ai continué à travailler, j'ai continué à voir le Dr Linwood, j'ai continué à prendre chacune de vos chansons personnellement, et j'ai fini par revenir. Parce que tu me manquais. » a ces mots, une sensation chaleureuse se répandit doucement dans sa poitrine. Tu me manquais aussi, voulut-il dire, mais sans raison, il s’abstint. Il hocha la tête, lui offrit un sourire timide.

A bout de souffle, elle s’interrompit et plongea ses yeux dans ceux d’Oliver, ce qui eut le don de l’intimider légèrement. « Et toi ? » le questionna-t-elle. Il ne s’attendait pas à ce qu’il lui retourne la question. Il pensait qu’elle avait tout vu. A vrai dire, elle espérait qu’elle ait tout vu ; ça avait son principal objectif pour poster autant de photos sur les réseaux sociaux. Il prit le temps de réfléchir un peu avant de répondre piètrement. « Comme tu l’sais, on a signé sur un label. On a passé quasi un an sur l’album avant de le sortir. Et on enchaîne maintenant doucement les concerts. On parle tournée aussi… » Il ne savait pas quoi dire d’autre. Qu’il avait été malheureux comme les pierres ? Qu’il avait pris de mauvais travers pendant son absence ? Qu’il faisait bien de trop la fête et touchait à tellement de trucs louches que ce n’était clairement plus récréatif ? Qu’il ne dormait plus depuis qu’elle était partie ? Il y avait tellement de choses à dire et pourtant il en dit si peu. Il s’en tint à peu près à ça. Ajouta au détour d’une phrase étrangement formulé qu’il avait atteint son rêve. Mais n’aborda ni la question de Rosie, ni celle de son absence, ou encore de son état de santé mentale. Il la regarda, et resta silencieux. L’atmosphère en devint rapidement embarrassante.

Elle l'écouta lui raconter ce qu'elle savait déjà sans chercher à cacher sa déception, ni le brin de contrariété qui commençait à éclore en elle, sans doute à cause du fait qu'elle venait de passer peut-être quinze minutes à lui livrer les détails les plus sordides et embarrassants des deux années qu'elle venait de passer, et lui, lui, lui, il torcha le tout en quatre phrases et des broutilles, et quoi, vingt secondes ? C'était pas cool, vraiment, car elle en était encore à répéter dans sa tête quelques unes des tournures de phrases auxquelles elle avait recouru, à se demander pourquoi elle avait dit ça plutôt que ça, pourquoi elle avait bouffé la moitié des mots quand il s'était agi d'expliquer que si son père n'était jamais venu la chercher, ce n'était pas parce qu'il avait peur de son autre père ni parce qu'il était trop occupé à rétablir paix et prospérité dans le monde, mais juste parce qu'il en avait rien à foutre, pourquoi elle avait omis de parler des disputes trop fréquentes avec sa mère alors que tenir tête à cette inconnue avait sans doute été l'élément le moins pathétique de tout son séjour. Elle aurait aimé pouvoir rembobiner son petit discours, tout ravaler et sceller dans un coin de sa tête pour n'offrir que les trucs banals, sans risque et sans saveur, du même acabit que ce qu'Oliver venait de lui débiter.
Et bien qu'elle essayât de toutes ses forces de se convaincre qu'elle voulait vraiment les récupérer, tous ces mots qui lui avaient échappés pour aller se loger dans les oreilles trop curieuses d'Ollie, elle savait, au fond, qu'il n'en était rien. Qu'elle était soulagée d'avoir enfin pu tout lâcher, tout articuler, selon ses propres termes et à un rythme qui était presque le sien. Que maintenant, il savait presque tout, il ne pouvait plus rien lui reprocher, plus l'accuser de rien. Qu'il en fasse bien ce qu'il en voudra, de ces quinze minutes.
Et en retour, elle en fit ce qu'elle voulut, du silence qu'il garda. Elle se résigna à le respecter, mais n'en conclut pas moins qu'il y avait des choses qu'il ne voulait pas lui dire, qu'il ne lui dirait peut-être jamais, et c'était douloureux, mais elle l'accepta. Presque. « Je suis vraiment heureuse que tu aies réalisé tes rêves, Oliver. Mais je le savais déjà, tout ça. » Elle posa l'arrière de sa tête sur le haut du dossier du canapé, et orienta sa tête penchée en arrière vers Oliver pour le regarder d'une manière qui se voulait plus douce. « C'était pas vraiment ce que je te demandais. »

Il se sentit soudainement assez pathétique. Elle venait de lui déballer deux ans en détails et pour seule réponse, il avait balbutié une phrase et demie. Mais il n’était pas là pour se faire plaindre, ni même pour la faire culpabiliser. Lui raconter comment il en avait pleuré, comment il avait sombré après son départ. Comment il avait essayé d’oublier, se détruisant doucement mais surement, consommant ce qu’il lui avait juré de ne plus jamais prendre. Alors il la regarda embarrassé, espérant qu’elle ne se rende pas compte de sa supercherie. Il se passa une main sur son crâne alors qu’elle se pencha contre le dossier. Il se remémora le soir où il avait décidé de tout tondre, comme pour faire table rase. Cela avait été définitivement une mauvaise idée.

Il souffla, comme pour décompressé. Hélas, il était vain d’essayer, la tension bloquant quasiment les muscles de sa nuque. « Je suis vraiment heureuse que tu aies réalisé tes rêves, Oliver. Mais je le savais déjà, tout ça. » Il s’en doutait, il n’était pas idiot. Cependant, il avait espéré qu’elle ne le fit pas remarquer à haute voix. « C'était pas vraiment ce que je te demandais. » Sa mâchoire se crispas dans un réflexe anxieux. L’émotion lui monta le long de la poitrine remontant jusque dans sa gorge. Qu’est ce que tu veux savoir Mayella ? Que j’ai été minable ? Que je n’ai fait que chuter et chuter et encore chuter ? Que tous mes repères sont partis en vrille ? Il sentait son cœur battre la chamade. Il avait l’impression que sa cage thoracique était prête à exploser. Il prit le temps de réfléchir à ce qu’il avait envie de lui dire, ce qu’il avait besoin de lui dire. « J’ai été malheureux pendant deux ans. » Eructa-t-il, surpris par son propre aveu. Il prit une grande inspiration et continua. « J’ai pas compris ton départ. Je ne suis pas là pour te blâmer, mais si tu veux savoir la vérité, c’est que j’ai été malheureux. Profondément triste. Ca m’a bousillé la tête. » Il n’avait déjà plus envie d’en parler. Il en avait trop dit. C’était trop confié et il sentait l’émotion le prendre à la gorge. Il venait de se piéger, de se saboter.

Oliver, malheureux. Oliver, profondément triste. Oliver, la tête bousillée. Elle tenta de faire coïncider ces bouts d'information avec les photos qu'elle avait vues, les interviews qu'elle avait lues, les chansons qu'elle avait entendues, mais elle n'y parvint pas. Car non seulement ni les photos ni les interviews ni les chansons ne donnaient cette impression, mais elle était en plus trop occupée à batailler contre la vague de culpabilité qui se profilait quelque part dans un coin de sa tête toute désordonnée.
Un Oliver malheureux, triste, bousillé. C'était tout ce qu'elle avait voulu éviter, tout ce qui l'avait fait fuir, tout ce pourquoi elle avait résisté aux appels et SMS. En vain. Alors bien sûr qu'elle voulut s'excuser. Bien sûr qu'elle voulut le prendre dans ses bras et lui dire à quel point elle regrettait de lui avoir infligé ça. Mais elle ne pouvait pas s'excuser, elle ne pouvait pas lui dire à quel point elle regrettait de lui avoir infligé ça, car elle savait que malgré tout, sa décision avait été saine pour elle – sans doute la décision la plus saine qu'elle ait jamais prise – alors n'aurait-il pas été hypocrite de s'excuser sans vraiment regretter ? Et certes, l'absence de Mayella l'avait rendu malheureux, triste, bousillé. Mais est-ce que sa présence aurait forcément été plus bénéfique ?
Ce n'était peut-être pas le genre de question à poser maintenant, alors qu'elle sentait Ollie se refermer presque aussi brutalement qu'il avait enfin accepté de parler, alors qu'elle le voyait construire de toutes ses forces la même carapace que celle derrière laquelle elle s'était cachée, des minutes auparavant, au moment de lui claquer la porte au nez. Pourtant, il lui paraissait essentiel de la soulever, cette question, essentiel de lui faire comprendre que dans tous les cas, elle lui aurait pourri la vie. Que quoi qu'elle fasse, ce n'était jamais la bonne chose à faire. « Et si j'étais restée ? » souffla-t-elle doucement, tout doucement, d'une voix un peu chevrotante. « Il se serait passé quoi ? Tu crois que les choses auraient été différentes ? » Elle pivota sur le canapé, orientant son corps vers Ollie pour mieux le voir. « Que j'aurais eu ma place dans l'équation ? Après tout ce bordel ? » Elle hésita un peu, pesa le pour, le contre, décida qu'après tout, c'était bien de la question qui allait suivre que tout avait dépendu, et continuait de dépendre. « Tu crois pas que tu aurais été malheureux ? »

Il ne voulait plus en parler. Il en avait trop dit. Il le sentait. Alors il se renfermait petit à petit sur lui-même, tentant de protéger le peu de dignité qui lui restait. Pourquoi devaient-ils en parler ? Après tout, tout ceci appartenait au passé. Elle était partie, point. Il n’y avait pas grand-chose à ajouter, bien qu’il fût heureux que ce ne soit pas complètement en vain. Mais il ne pouvait pas dire la même chose. Le choc avait été violent. Et il ne s’était pas attendu à un renversement de cette importance. A être aussi ébranlé. Mais le romantique qui sommeillait en lui s’en était toujours douté : à partir du moment où ils s’étaient trouvés, ils ne pourraient plus se quitter. Enfin, jusqu’à ce que quelqu’un en décide autrement…

Et si Oliver ne souhaitait plus en parler, Mayella en avait clairement décidé autrement. « Et si j'étais restée ? » Hésitante, elle continua sur sa lancée. « Il se serait passé quoi ? Tu crois que les choses auraient été différentes ?  Que j'aurais eu ma place dans l'équation ? Après tout ce bordel ? Tu crois pas que tu aurais été malheureux ? » il étrangla un hoquet de surprise. Elle n’était tout de même pas sérieuse ? Il se sentit perdre patience. Frustré même qu’elle ne comprit pas la portée de ses propos.

« T’es sérieuse là ? » lança Ollie, encore un peu sous le choc. « Tu crois sincèrement ce que tu viens de dire ? » Il s’agita sur le canapé, ulcéré par ces questions qu’il considérait comme déplacées. « Parce que tu crois m’avoir fait une fleur en me quittant ? » Son ton se fut légèrement plus agressif. Il ne voulait pas la faire fuir, repartir dans ce manège d’hurlements et de reproches. Cependant il lui était impossible d’accepter de tels dires. « Bien sur que les choses auraient pu être différentes. » Oliver était submergé. Tout se bousculait dans sa tête. Qu’insinuait-elle bon sang ? Qu’il l’aurait gardé captive, ou abandonné ? Avait-elle conscience qu’il pouvait y avoir un entre deux ? « Tu aurais peut-être été malheureuse de rester, mais ne me dis pas que t’es partie parce que je l’aurais été. Ça n’aurait pas été le cas de mon côté. » Il reprit son souffle. « J’étais prêt à tout pour que tu puisses trouver l’équilibre. »

Mayella regarda Oliver s'enfoncer dans son déni avec sur le visage la même expression que celle qu'elle réservait aux visiteurs qui venaient de sortir une énormité sans même en avoir conscience. Médusée, estomaquée, soufflée, coite, pantoise, sidérée, et un peu scandalisée. Tout ça à la fois, et bien plus encore. Parce qu'il ne comprenait pas son propos, trop abstrait sans doute, pas assez imagé, trop évasif pour ne pas ressembler aux excuses bidons derrière lesquelles on se cache quand on regrette d'avoir fait une connerie sans pouvoir l'admettre. Alors elle se redressa sur le canapé, s'assit même en tailleur pour pouvoir se tourner vers lui, décidée à le rendre plus concret, son propos, vu qu'il s'obstinait à ne pas vouloir voir où était le problème.
« Tu te souviens peut-être pas, Oliver, et dans ce cas-là tant mieux, mais un jour, j'ai été tellement contrariée de te trouver en train de te droguer que je t'ai frappé. » Elle marqua une pause, lui jeta un regard éloquent, et reprit. « Et tu sais qui d'autre frappe les gens quand il est contrarié ? » Là encore elle laissa un court silence s'installer, le temps qu'il comprenne où elle voulait en venir, qu'il se remémore – si, par chance, il avait réussi à oublier. « Bien sûr que tu sais. » Elle frotta avec lassitude ses yeux douloureux, plus d'avoir trop pleuré que d'en avoir à nouveau envie. « Et j'étais terrifiée à l'idée de reproduire ses comportements. Et je savais que j'allais les reproduire si je ne faisais pas quelque chose. Et tu le savais, toi aussi. » Parce qu'il ne pouvait pas être aveugle à ce point, tout de même. « Alors oui, les choses auraient pu être différentes. J'aurais pu rester tarée et m'en prendre à toi. T'aurais voulu ça ? »
Bien évidemment qu'il était persuadé d'avoir pu y faire quelque chose. Et c'était terrible, pas seulement parce que ce n'était qu'une douce illusion, un peu naïve mais néanmoins réconfortante. Non, c'était terrible, parce que c'était tout ce dont elle avait eu peur à l'époque – qu'il la façonne, qu'il la coince, qu'il l'emprisonne dans une relation dont elle n'aurait jamais cherché à sortir parce qu'elle s'y serait bien trouvée. Que, dans les moments de doute, il la fasse culpabiliser en mentionnant tous les sacrifices qu'il aurait eu à faire pour elle, histoire qu'elle renonce à toute évasion – qu'elle n'aurait de toute façon jamais envisagée. Et c'était affligeant, qu'elle ait pu penser comme ça un jour, alors qu'il n'avait jamais été que le soutien le plus solide dont elle ait bénéficié, alors qu'il n'avait jamais rien fait, dit ou suggéré qui puisse la pousser à se mettre ça en tête. Mais c'était bien un signe supplémentaire qu'elle était une dégénérée et qu'elle avait bien eu raison de s'en aller. Et c'était surtout un signe qu'elle comptait bien garder pour elle.
« Et tu vois Ollie, c'est aussi ça, le problème. Que tu aies été prêt à tout pour que je trouve l'équilibre. Parce que non seulement je me serais jamais pardonné que tu aies à sacrifier quoi que ce soit pour moi, mais en plus de ça, c'était à moi de trouver mon propre équilibre, toute seule. Et c'est sûr que c'est pas parfait, c'est sûr que j'ai encore des gros bugs, mais j'ai tout fait toute seule, et j'en suis franchement fière. » Elle pointa un doigt presque accusateur vers lui, qui lui donna l'air plus ridicule qu'autoritaire, mais il était un peu tard désormais pour cacher ce geste puéril. « Parce que si je te trouvais en train de te droguer dans les chiottes dégueulasses d'un bar aujourd'hui, mon premier réflexe ne serait plus de te frapper. »

« Tu te souviens peut-être pas, Oliver, et dans ce cas-là tant mieux, mais un jour, j'ai été tellement contrariée de te tro-uver en train de te droguer que je t'ai frappé. Et tu sais qui d'autre frappe les gens quand il est contrarié ? » Mayella avait décidé de la jouer avec condescendance ce qui offusqua Oliver, déjà bien assez à fleur de peau pour supporter un tel traitement. Il ne voulait juste plus en parler mais elle ne cessait de l’assaillir avec tout un tas de remarques et questions qui ne faisaient que le frustrer davantage. Il se prit le visage entre les mains, le frottant d’abord vigoureusement, puis laissant ses deux paumes contre ses paupières clauses, comme pour s’éclipser de cette conversation. Mais Mayella en avait décidé autrement.

« Et j'étais terrifiée à l'idée de reproduire ses comportements. Et je savais que j'allais les reproduire si je ne faisais pas quelque chose.  Alors oui, les choses auraient pu être différentes. J'aurais pu rester tarée et m'en prendre à toi. T'aurais voulu ça ? » Inepties. Il contracta la mâchoire de frustration, serra les dents, espérant qu’elle arrêterait bientôt. Pourquoi insistait-elle ? Pourquoi ne voulait-elle pas comprendre que ça aurait pu bien se passer ? Qu’elle n’avait jamais été obligé de fuir. « Tu n’as jamais été tarée. » dit-il entre ses dents. Il garda suite à cela le silence, refusant de répondre à ces questions qu’ils considéraient comme inutiles. Elle n’attendait pas tellement de réponse de sa part, seulement à avoir raison. Et cela agaçait clairement Ollie qui ne souhaitait plus traiter du sujet. Ils devaient se rendre à l’évidence. Ni l’un ni l’autre ne partageaient la même vision de ce qui leur était arrivé il y a deux-trois ans. Et cela était désespérant. Et franchement affligeant. Comme s’ils n’avaient pas vécu la même histoire d’amour.

« … Et c'est sûr que c'est pas parfait, c'est sûr que j'ai encore des gros bugs, mais j'ai tout fait toute seule, et j'en suis franchement fière. » S’il avait mis sur pause le flux de paroles de Mayella, il retint toutefois cette dernière phrase. Elle avait raison d’être fière d’elle, elle avait fait face à ses démons, avait affronté coûte que coûte la réalité, toute seule. Seule. Le mot sonna, résonna dans sa tête avec insistance, tel un écho. Et en un sens, il était fier d’elle aussi. « Parce que si je te trouvais en train de te droguer dans les chiottes dégueulasses d'un bar aujourd'hui, mon premier réflexe ne serait plus de te frapper. » Il tourna trop rapidement le visage vers elle, surpris. Qu’insinuait-elle ? Savait-elle ce qu’il faisait ? Ce dans quoi il était tombé pendant qu’elle avait disparu ? « Ok, ok… Je suis pas sûr de vouloir continuer cette discussion. » Il se leva, un peu précipitamment et fourra ses mains dans ses poches. « Je sais pas vraiment où tu veux en venir. Je suis content pour toi si tu es mieux aujourd’hui. Mais tu me convaincras pas que c’était forcément la meilleure solution de partir comme ça. » Il prit une grande inspiration, tenta un vague sourire triste et se racla la gorge. « Je crois qu’il faut que j’y aille. » Il eut envie de la prendre dans ses bras, de la serrer à nouveau contre lui. Alors il resta là, planté devant elle, à attendre quelque chose, mais quoi exactement.

« Je crois qu’il faut que j’y aille. » « Oui, » rétorqua-t-elle froidement en se levant à son tour, « C'est ce que j'allais te suggérer. » Et elle alla ouvrir à nouveau la porte – allait-elle un jour arrêter de jouer les portières ? – pour lui montrer la sortie, dans le cas où il n'aurait pas compris qu'elle était terriblement sérieuse. Elle ne voulait plus le voir, plus l'entendre, plus jamais avoir à supporter l'indifférence exécrable qu'il venait de lui balancer à la gueule. Elle voulait un peu pleurer, aussi, mais sans obtenir en échange le réconfort de qui que ce soit, parce que les larmes qu'elle voulait déverser n'étaient que siennes. Elle lui avait fait part de ses progrès, de ses craintes, de tout ce qui faisait la Mayella Milburn qu'elle avait été et celle qu'elle était devenue, et lui, il n'avait rien trouvé de mieux à faire que fermer la conversation. Comme ça, sans raison, ou parce qu'il n'aimait peut-être pas qu'elle soit honnête, ou parce qu'il aurait peut-être préféré qu'elle reste bien vulnérable dans son giron pour qu'il puisse bien lui ruiner la vie et – non. Stop. Elle inspira, expira, se rendit compte qu'elle tremblait un peu – de colère. Se tourna vers lui pour le voir s'approcher à son tour de la porte, maintenant qu'il s'était rendu compte qu'elle n'allait pas lui retomber dans les bras comme elle avait pu stupidement le faire quelques instants plus tôt, qu'elle n'allait plus faire l'erreur d'être à nouveau faible devant lui.
Elle ne le regarda pas, et lui non plus, d'ailleurs. Elle le revoyait en train de se frotter les yeux comme si elle l'éxaspérait, l'entendait lui répéter que son départ n'était « pas la meilleure solution », parce qu'il n'y avait visiblement que ce que lui avait vécu qui pouvait être valable et acceptable. Elle avait été parfaite, putain. Elle avait tout dit, tout expliqué, sans s'emporter ni rien cacher, et il était pas même foutu d'être sincère quand il la félicitait pour ses progrès.
Elle ne sut pas s'il lui adressa la parole au moment de franchir le pas de la porte – pour la dernière fois, elle se le promettait. Elle ne parvenait à rien entendre d'autre que sa rage, même une fois la porte refermée, presque doucement, sur la silhouette d'Oliver Prewett, même lorsqu'elle retourna s'asseoir sur le canapé pour y saisir son téléphone, même lorsqu'elle y vit le SMS de Hoyt – alors ? –, même lorsqu'elle balança de toutes ses forces son téléphone contre le mur d'en face et le regarda avec une certaine satisfaction se fracasser contre la cloison dans un bruit sourd.

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