he knocked her off her feet and then I knew it was the end of her

« Quoi, “quoi ?!” ? » demanda-t-elle sur la défensive, ce qui ne fit qu’accentuer la surprise d’Oliver. Elle venait juste de lui révéler avoir tenté d’entrer en contact avec lui sans qu’il s’en soit rendu compte. Juste ça. Une broutille. Surtout après la crise de panique qu’il venait d’avoir. Et si cette révélation eut l’effet d’une explosion douloureuse de sa matière grise, la réalité se rapprochait plus d’un cœur se serrant douloureusement dans sa poitrine et ses épaules se crispant sous le poids de la culpabilité. « Hum, c’est pas important. C’était juste deux SMS. J’en ai envoyé un l’an dernier depuis le téléphone de ma mère. Et un cette année d’un autre numéro. C’était stupide, j’aurais pas dû en parler. » Elle le disait avec tellement de distance que l’espace d’un instant, Oliver n’y crut pas. Comment pouvait-elle lui expliquer de manière aussi détachée qu’elle avait tenté de le joindre mais que lorsqu’il avait fait de  même -et de nombreuses fois- elle n’avait jamais répondu ? Il la regarda, décontenancé. Bien sur que c’était important. « Tu les as vraiment pas reçus ? Tu as changé de numéro ? » Il resta sans voix de longues secondes, incapable de lui répondre. Bien sur qu’il les avait reçus. Il se souvenait même avoir répondu un “Merci beaucoup. J’ai dû perdre le numéro, qui est-ce ?” qui était resté à chaque fois sans réponse. Il hocha alors doucement la tête, déglutit et tenta de retrouver l’usage de la parole. « Je les ai reçus, j’ai même demandé de qui ils étaient. » Un silence gênant s’installa entre eux, alors qu’Ollie fixait Mayes à la recherche d’un indice, d’une explication. « Je comprends pas. J’ai essayé de te joindre tous les jours, pendant plus d’un an et tu n’as jamais répondu. Tu écoutais mes messages ?  Tu recevais mes sms ? » C’était douloureux. Douloureux de se rendre compte qu’effectivement, elle les avait possiblement reçu mais avait décidé de sciemment les ignorer. « Pourquoi ? Pourquoi t’as fait ça et ignoré mes appels ? » De sa gorge nouée n’en sortit qu’une voix rauque et faiblarde. Il était blessé. Et pourtant il savait, il comprenait que cela partait d’une bonne intention, que ce n’était pas malveillant, seulement sa manière à elle de gérer une situation qui avait dû lui échapper. Et pourtant, cela ne l’empêcha pas d’avoir un mal de chien alors que tout ceci prenait sens dans son esprit.

« Je les ai reçus, j’ai même demandé de qui ils étaient. » Ah. Ça, en revanche, elle n’avait aucun moyen de le savoir, car elle avait courageusement bloqué son numéro juste après avoir envoyé les messages. Juste au cas où. Elle ne l’en informa pas. Parce qu’elle voyait qu’il était secoué, et ce n’était pas ce qu’elle avait voulu. Elle avait simplement voulu réaffirmer l’omniprésence d’Ollie dans ses pensées tout au long de son existence. Et il ne réagissait pas comme il fallait. Il ne réagissait pas comme elle le voulait. « Je comprends pas. J’ai essayé de te joindre tous les jours, pendant plus d’un an, et tu n’as jamais répondu. Tu écoutais mes messages ? Tu recevais mes sms ? Pourquoi ? Pourquoi t’as fait ça et ignoré mes appels ? » Mayes déglutit difficilement et recula jusqu’au mur pour mettre le plus de distance possible entre eux tout en détournant le regard. Elle n’avait jamais vraiment considéré les choses de ce point de vue-là. Elle ne les avait pas intellectualisées de la sorte, non plus. Et en même temps, elle était persuadée de lui avoir déjà dit qu’elle avait écouté chacun de ses messages, lu chacun de ses sms, et qu’elle en avait cassé son téléphone – la première victime d’une série oliverienne, apparemment, à en juger l’état de son dernier mobile en date. Alors elle ne put s’empêcher de penser qu’elle faisait l’objet d’un interrogatoire qui se prolongeait trop à son goût. D’abord ses potentielles aventures sentimentales, maintenant la justification de son comportement. Il se faisait de plus en plus intrusif et elle se sentait de plus en plus redevable de toutes ces explications. Elle ouvrit la bouche à plusieurs reprises pour parler, toujours sans le regarder, le regard fixé sur le mur qui lui faisait face. « Je suis désolée », finit-elle par articuler au bout de quelques tentatives de trouver quelque chose à dire. « Je pense pas que tu jugerais mes raisons satisfaisantes. C’est en partie à cause de ça, » poursuivit-elle en désignant d’un geste vague le genou meurtri du jeune homme. « Et en partie pour plein d’autres choses. » Elle lui jeta un regard en coin, et c’est en voyant sa mine déconfite qu’elle se résigna à élaborer un peu. « Au début j’étais pas en état de te répondre, en fait. Et après j’avais juste honte et tu semblais t’en sortir sans moi alors je pensais te rendre service. » Un haussement d’épaules désinvolte vint balayer la confession avant qu’elle poursuive. « Et je crois qu’une partie de moi voulait juste me punir ? Plus tu m’écrivais, plus tu me manquais, et plus ça faisait mal. C’était assez cathartique. Et en même temps, ça me donnait aussi un truc pour lequel me battre, tu vois, je me disais qu’il y avait un truc qui m’attendait à la ligne d’arrivée. Ha ha. » Ha ha. Elle resta silencieuse quelques secondes, à chercher ses mots pour les lâcher d’une voix bien plus discrète, presque éteinte. « Je voulais me réparer toute seule, je voulais pas impliquer qui que ce soit, surtout pas toi et je voulais pas forcément que qui que ce soit voie comment ça se passait. » Parce que ça ne se passait pas bien, pas bien du tout, et que ça n’avait au final servi à rien, à rien du tout. « Au fond je crois aussi que j’avais peur que tu viennes me chercher et que je te laisse faire ? Parce que j’avais envie que tu viennes me chercher. »

Oliver n’était pas sur de comprendre ce qui se passait. Il avait la désagréable sensation d’observer la scène en dehors de son corps, d’être témoin de cette révélation surréaliste. Mayella s’éloigna un peu plus de lui, allant se coller au mur opposé à lui. C’était douloureux. Douloureux d’apprendre ça, de se rendre compte de ces années perdues, de la voir le fuir à nouveau dans cet espace réduit. Il l’observa ouvrir puis refermer la bouche, à la recherche de ses mots. Oliver se mura dans son silence. « Je suis désolée », finit-elle par lui dire. « Je pense pas que tu jugerais mes raisons satisfaisantes. C’est en partie à cause de ça, et en partie pour plein d’autres choses. » Il ne savait pas si ses raisons étaient insatisfaisantes mais ce dont il était sur c’est qu’il ne la comprenait pas. Il avait abandonné depuis des mois l’idée de la comprendre, de faire la lumière sur ces deux dernières années. Mais maintenant qu’elle était là, face à lui, lui lançant des révélations déconcertante, il ressentait à nouveau le besoin désespéré de savoir. De comprendre. Mais Oliver, une fois de plus, n’ouvrit pas la bouche, se contentant d’observer. « Au début j’étais pas en état de te répondre, en fait. Et après j’avais juste honte et tu semblais t’en sortir sans moi alors je pensais te rendre service. Et je crois qu’une partie de moi voulait juste me punir ? Plus tu m’écrivais, plus tu me manquais, et plus ça faisait mal. C’était assez cathartique. Et en même temps, ça me donnait aussi un truc pour lequel me battre, tu vois, je me disais qu’il y avait un truc qui m’attendait à la ligne d’arrivée. Ha ha. » Son ‘ha ha’ résonna douloureusement dans tout son corps. Tel un poignard planté dans le dos, son reproche laissa un goût amère sur sa langue. « Je voulais me réparer toute seule, je voulais pas impliquer qui que ce soit, surtout pas toi et je voulais pas forcément que qui que ce soit voie comment ça se passait. » Il eut envie de lui dire qu’il était fier d’elle, de tout le chemin parcouru, de tout ce qu’elle avait réussi à réparer, quitte à sacrifier leur couple. Mais elle les avait sacrifiés et ça restait tout de même douloureux à concevoir. « Au fond je crois aussi que j’avais peur que tu viennes me chercher et que je te laisse faire ? Parce que j’avais envie que tu viennes me chercher. » Oliver était perdu. Il n’était pas sur de comprendre. Il n’avait demandé que ça, venir la chercher. Alors pourquoi n’avait-elle jamais répondu ? Il la fixa un instant, silencieux, incapable de savoir quoi répondre. Il sentait la culpabilité d’avoir arrêté de l’attendre s’abattre sur ses épaules. Il essaya de savoir quand il avait décidé d’arrêter. Il ne sut dire avec exactitude quand il avait abandonné l’idée qu’elle revienne. « J’ai été misérable sans toi. Je voulais qu’une chose c’est que tu reviennes. » dit-il d’une petite voix, tentant un pas vers elle.  « Et même si je suis pas sur de tout comprendre, même s’il manque des pièces au puzzle, tu t’es réparée… toute seule. » Ce qu’il retenait toutefois c’est qu’elle l’avait attendu. Elle n’avait cessé de penser à lui malgré des signaux contradictoires. Et lui n’avait cessé de penser à elle malgré des signaux tout aussi contradictoires. « Je suis désolé de ne pas être venu te chercher. J’ai cru que– Que tu ne voulais pas. Que tu ne voulais plus me voir. » Il fit un autre pas, tout petit, presque imperceptible. « Mais sache que je comprends et que je suis fier de ce que tu es devenue. »

Voilà, c’était dit. C’était mal dit, sans doute, mais c’était dit. Et c’était de loin la principale raison à son silence radio. Parce que s’il était venu la chercher, elle l’aurait suivi, comme elle suivait toujours tout le monde, et elle n’aurait pas discuté, ne se serait pas bagarrée, et serait docilement devenue la marionnette d’Oliver Prewett. Parce que le truc, c’est que si désormais elle savait intellectuellement, émotionnellement, spirituellement, transcendentalement qu’Ollie ne l’aurait jamais enfermée dans une relation abusive, la Mayella d’il y a deux ans avait du mal à le concevoir. Au moins une chose sur laquelle elle avait progressé. Il ne sembla pas comprendre ce qu’elle tentait de dire à travers ses mots édulcorés, et c’était tant mieux, elle n’avait pas envie de le blesser davantage pour ses erreurs passées. Mais il s’approchait d’elle et elle n’en avait pas envie, pas maintenant qu’elle avait une nouvelle fois étalé les détails sordides de sa lamentable existence. Contrairement à lui. Alors elle resta contre son mur, à fixer obstinément le plafond, désormais. « Et même si je suis pas sûr de tout comprendre, même s’il manque des pièces au puzzle, tu t’es réparée… toute seule. » Elle laissa échapper un minuscule rire incrédule à ces derniers mots. Réparée. Tu parles d’une imposture. C’était à croire qu’il n’avait pas assisté à la même scène qu’elle la veille, qu’il n’avait pas remarqué qu’elle n’avait plus de téléphone, qu’il ne s’était pas aperçu que c’était Hoyt – Hoyt ! – qui s’occupait de lui filer ses médicaments. Réparée. Quelle blague.« Je suis désolé de ne pas être venu te chercher. J’ai cru que– Que tu ne voulais pas. Que tu ne voulais plus me voir. Mais sache que je comprends et que je suis fier de ce que tu es devenue. » Elle lui jeta un coup d’œil juste à temps pour le voir s’approcher davantage, et elle ne sut pas trop si c’était ce mouvement ou ces mots qui l’irritèrent, mais il n’empêche qu’elle sentit une vague de contrariété lui saisir la gorge. Il la soûlait à toujours être trop compréhensif, trop indulgent, trop prêt à endosser la culpabilité d’un truc dont il avait été victime. Et ça l’énervait. Ça l’énervait qu’il s’excuse, ça l’énervait qu’il ne comprenne pas ce qu’elle lui disait, ça l’énervait qu’il s’imagine une seule seconde que ce qu’elle avait fait avait servi à quelque chose. « Je suis rien devenue, Oliver », articula-t-elle d’une voix blanche. « Je suis rien devenue, je n’ai rien réparé et je comprends pas ce que tu comprends pas et tu avais pas l’air si misérable que ça de ce que j’ai pu voir », enchaîna-t-elle sans même se rendre compte que les reproches qu’elle proférait ne s’adressaient plus vraiment à elle-même.

La discussion vrillait. Et Oliver n’aimait pas la tournure que tout ça prenait. Le moment idyllique semblait s’être évaporé, ne laissant derrière lui qu’amertume et regret. Que s’était-il passé pour que tout change ainsi ? Pour que la discussion et leur interaction dérapent à ce point ? Il se renfrogna alors que Mayella semblait vouloir aborder les sujets sensibles. Le rire incrédule qui s’échappa d’entre ses lèvres lui laissa apercevoir la tournure future des choses. « Je suis rien devenue, Oliver. Je suis rien devenue, je n’ai rien réparé et je comprends pas ce que tu comprends pas et tu avais pas l’air si misérable que ça de ce que j’ai pu voir. » Il reçut les mots comme une claque violente et inattendue. Le coup fut douloureux et laissa le jeune homme bouche bée. Il ne méritait pas un tel reproche, pas après que ce soit elle qui ait pris la décision de le quitter, de l’abandonner sans même lui donner d’explication. Il déglutit avec difficulté, sentant la colère lui picoter le fond de la gorge, s’emparant doucement de lui. Il recula d’un pas et la toisa. C’était méchant et certainement injuste. Mais ce qui troublait Oliver c’était de ne pas comprendre d’où cela venait. « T’as vu quoi au juste ? Parce que ce que je retiens c’est que t’es allée voir ce que je voulais bien afficher mais que t’as jamais daigné répondre à mes messages pathétiques. Et viens pas me dire que tu pouvais pas l’entendre que j’étais pas bien ou que c’était du chiqué. » Sa voix s’était durcie à son tour. Oliver décida soudainement de quitter la pièce. Il attrapa au passage un t-shirt qui traînait et l’enfila à la va vite. Il retourna dans la chambre, se saisit de son jean, qu’il remit avec difficulté et se saisit de son paquet de clope. Il en coinça une entre ses lèvres, la main légèrement tremblante, l’adrénaline semblant finalement faire effet. « Tu sais quoi Mayella, j’essaie juste de voir l’aspect positif à ton départ. D’y comprendre quelque chose. De savoir où ces deux putains d’années sont passées. » Sa voix se fit rauque, malaimable. Il se donna de la contenance en cherchant -en vain- un briquet. Il se sentait frustré et un peu trahi. Comme si ces deux ans n’avaient été que strass et glamour. Comme si tout avait été facile. La partie la plus simple de ces derniers 730 et quelques jours se résumait aux quelques photos instagram qu’il avait bien voulu poster (en partie à l’attention de la jeune femme…).

C’était un peu étrange, tout de même, d’entendre tout le ressentiment qu’elle avait alimenté pendant des mois à son propre égard s’échapper d’entre ses lèvres pour s’attaquer à une nouvelle cible. C’était étrange, certes, mais aussi assez salvateur. Elle balançait, comme ça, sans barrière, tout ce qui lui trottait dans la tête depuis qu’elle était revenue et qu’il la fuyait ou l’ignorait ou l’engueulait, et même si elle n’avait aucun droit d’être amère quant aux choix qu’il avait faits sans elle, même s’il était malsain d’avoir espéré qu’il soit réellement misérable, il était difficile pour elle de s’en vouloir de balancer tous ces reproches à peine voilés. Il l’avait remplacée, putain. « T’as vu quoi au juste ? Parce que ce que je retiens c’est que t’es allée voir ce que je voulais bien afficher mais que t’as jamais daigné répondre à mes messages pathétiques. Et viens pas me dire que tu pouvais pas l’entendre que j’étais pas bien ou que c’était du chiqué. » Elle le regarda sortir de la salle de bain sans broncher, trop fatiguée pour lui courir à nouveau après. Elle avait fait que ça, lui courir après. Et c’était d’autant plus épuisant qu’elle n’avait pas besoin d’entendre ces reproches pour lesquels elle s’était déjà justifiée. Il s’en foutait de ce qu’elle avait à dire. Il voulait juste être en colère. Qu’il soit en colère, loin d’elle, si ça lui chantait. Elle n’allait plus lui courir après. Elle n’allait pas arguer que ce qu’il avait décidé de montrer, il l’avait bien montré pour une raison, qu’il avait bien fini par ne plus vouloir avoir l’air misérable, lui. Elle allait juste ruminer dans son coin encore quelques minutes, attendre qu’il disparaisse dans un recoin quelconque de l’appartement, et s’éclipser comme elle savait si bien le faire. « Tu sais quoi Mayella, j’essaie juste de voir l’aspect positif à ton départ. D’y comprendre quelque chose. De savoir où ces deux putains d’années sont passées. » Finalement, non. Elle n’allait pas juste ruminer dans son coin. « De voir– de voir l’aspect positif à mon départ ? » lâcha-t-elle, incrédule, sa voix montant dangereusement dans les aigus alors qu’elle se détachait de son mur pour se placer dans l’encadrement de la porte de la salle de bain. Elle le regarda s’agiter à la recherche d’un briquet sans lui dire qu’il y en avait un sur la table, quelque part sous le tas de pansements et compresses qu’elle y avait déposé la veille. « Peut-être que de ton côté il y en a eu du positif – je veux dire, bravo, ces deux putains d’années tu les as passées avec ton meilleur pote à faire ce que t’aimais et à écouler tout ton stock de capotes avec ta nouvelle copine – mais de mon côté il y en pas, d’aspect positif, OK ? Et ces deux putains d’années je les ai perdues et je les récupérerai jamais, merci de me le rappeler. » Elle lança un coup de pied rageur contre l’encadrement de la porte et s’efforça de ne pas montrer à quel point elle le regretta lorsque ses orteils craquèrent douloureusement contre le bois. « Peut-être qu’au début t’étais misérable, mais t’as fini par passer à autre chose. Moi pas. »

« De voir– de voir l’aspect positif à mon départ ? » Le son de sa voix le stoppa un instant dans ses mouvements. Il pouvait dénoter le ton incrédule et aigu dans sa voix. Ce qui n’annonçait rien de bon. La voyant arriver dans l’encadrement de la porte, Oliver se remit à chercher nerveusement ce foutu briquet. « Peut-être que de ton côté il y en a eu du positif – je veux dire, bravo, ces deux putains d’années tu les as passées avec ton meilleur pote à faire ce que t’aimais et à écouler tout ton stock de capotes avec ta nouvelle copine – mais de mon côté il y en pas, d’aspect positif, OK ? Et ces deux putains d’années je les ai perdues et je les récupérerai jamais, merci de me le rappeler. » Il avait envie de hurler. De lui hurler sa frustration, d’éructer son mal être et ses relents de coeur brisé, de lui mettre sous le nez les conséquences (et dieu sait qu’elles étaient nombreuses) de son départ. Parce que ce que Mayella Milburn voulait bien voir c’était ce qu’elle avait perdu. Elle uniquement. Mais lui dans tout ça ? Il trouva finalement un briquet au pied d’un fauteuil, non pas celui qu’il cherchait, un autre mais qui ferait l’affaire. Il alla à la fenêtre la plus proche qu’il ouvrit et alluma sa clope. « Peut-être qu’au début t’étais misérable, mais t’as fini par passer à autre chose. Moi pas. » Un bel uppercut. Mayella avait le don de bien cogner et de cogner fort. Il tira longtemps sur la cigarette en question, fixant l’horizon. Les secondes s’écoulèrent, un silence pesant s’installant entre eux. « C’était de la survie », dit-il finalement d’une voix blanche. « Je savais pas où t’étais, j’avais pas d’explication, pas de raison. Je perdais la tête. » Il n’avait pas nécessairement envie d’en dire plus ou d’étaler les sombres moments de ces derniers mois. Il n’avait pas envie d’insister sur son état mental ou même physique. Alors Oliver se concentra sur sa cigarette, prenant de longue bouffée et recrachant la fumée toxique avec application. Elle ne voulait pas comprendre et ne voir que son point de vue : soit. Ils avaient peut être trop changés après tout.

Mayes sautilla misérablement jusqu’aux chiottes pour s’y asseoir à son tour afin d’inspecter ses orteils endoloris. Il n’y avait rien de cassé, elle le savait – elle ne savait que trop bien ce que c’était, un os pété – mais elle massa consciencieusement son pied, pendant un très long moment, pour se donner quelque chose à faire. Elle se sentait mal, quelque part dans son ventre, dans sa cage thoracique, jusque dans sa trachée qui se comprimait, se comprimait, se comprimait, sans qu’elle sache pourquoi. Enfin si, elle savait. Elle se sentait lésée, voilà tout. Elle avait tout donné, tout dévoilé, jusque dans les détails sordides de ce qu’avait été sa vie, et elle n’avait rien obtenu d’autre en retour que de vagues allusions à un malheur incommensurable. Alors bien sûr, qu’elle se sentait lésée, mais surtout, surtout, elle se sentait stupide. Stupide, humiliée, vulnérable. C’est à ce moment-là, sans doute, que le déclic se fit. Elle en avait trop dit. Elle en disait toujours trop. Et elle se retrouvait toujours éperdue, à batailler contre la masse de vide que ça laissait dans son ventre, dans sa cage thoracique, jusque dans sa trachée qui se comprimait, se comprimait, se comprimait.
Alors elle se leva machinalement, au moment où Oliver lui annonçait que tout n’avait été que de la survie, et, désormais guidée par son vide et son embarras, elle gagna à son tour le salon, où elle trouva son pantalon qu’elle enfila dans des gestes automatiques. Oliver lui tournait le dos. Très bien. Elle enleva le t-shirt qu’elle lui avait emprunté, remit son soutien-gorge, son haut, bien à elle, de la veille, dégota dans une poche de son pantalon un élastique, et entreprit de tresser ses cheveux emmêlés. Ce fut une tâche laborieuse, pas tant à cause des nœuds qui lui mangeaient les doigts que parce qu’elle n’avait pas fait ça depuis très, très longtemps. « Je savais pas où t’étais, j’avais pas d’explication, pas de raison. Je perdais la tête. » Elle fixa son dos alors qu’il parlait, finit de s’attacher les cheveux, et lâcha, d’une voix un peu éteinte : « De quoi tu parles ? » Elle avait cru jusqu’à présent qu’il exagérait ses propos, qu’ils s’étaient lancés sans se concerter dans une sorte de course à la surenchère du malheur, mais elle n’en était plus si sûre. Et si c’est une vraie incompréhension qui la poussa à poser sa question, elle n’espérait plus vraiment obtenir de réponse sincère et détaillée. Elle savait que sa curiosité, son inquiétude, son envie de savoir resteraient ignorées, et ce n’était pas plus mal quand, comme Mayella Milburn, on aimait encourager son âme à se morfondre à chaque occasion qui se présentait. Sans vraiment attendre de réponse, donc, elle se dirigea vers le bordel qu’elle avait laissé sur la table avant d’aller se coucher, une éternité auparavant, et commença à y remettre de l’ordre avec application, pour se rassurer.

Il sentait la culpabilité le saisir à la gorge alors qu’il tirait longuement sur sa cigarette. Il sentait les murs qu’il avait érigé pour se protéger, son refus de parler, doucement, tout doucement se déliter. Il ne voulait pas de la pitié de Mayella. Il ne voulait pas la faire pleurer. Ni même culpabiliser. Mais elle devait savoir. Parce que si elle avait refusé de voir la vérité en face, Oliver avait besoin aujourd’hui qu’elle fasse face aux conséquences et qu’elle légitime aussi ce que lui avait ressenti et pourquoi il avait fait ce qu’il avait fait. Il se concentra sur sa cigarette qui se consumait bien vite, son regard plongé vers l’horizon. Il ne pouvait regarder à l’intérieur sous peine de perdre son calme. Et pourtant, il pouvait l’entendre s’agiter autour de lui, ranger, sans doute se rhabiller. Les choses étaient passées bien trop vite de la lune de miel à la guerre froide. « De quoi tu parles ? » Sa voix était éteinte et il sut que ça n’avait rien de bon. Il recracha la fumée qui lui grattait la gorge et tourna doucement son visage vers l’intérieur de l’appartement. Mayella était là, à ranger, trifouiller, réorganiser le peu d’affaires qu’elle avait laissé sur la table la veille, maintenant entièrement habillée, les cheveux tressés. Oliver s’attarda sur cette coiffure. Des brins roux entortillés, savamment torsadés pour donner ce résultat qu’il n’avait pas vu depuis très longtemps. Il déglutit avec difficulté, conscient que ce qui se passait actuellement n’était pas beau. Ni même bon. Et qu’aucun des deux ne s’en sortirait indemne. D’une voix qui se voulait plus calme, il dit. « J’ai fait de la merde. C’est tout. J’ai perdu pieds quand t’es partie. Ça s’est pas amélioré avec le temps. » Il prit le temps de respirer un grand coup avant de continuer. « J’avais jamais ressenti ça avant. J’étais paumé sans toi. » Il la regarda, sa gorge se comprimant à l’énoncé de ses mots. Il se remémora les soirées black out, la drogue dans les toilettes, les filles dont il ne connaissait même pas le nom. Il prit à nouveau une taffe sur sa cigarette, la main légèrement tremblante. Pourquoi les choses ne pouvaient-elles pas être simple. « Alors j’ai fait de la merde. J’ai tenté de passer à autre chose. De ressentir des choses. Mais t’étais toujours là. » Il indiqua son crâne de sa main libre. « …Toujours là », souffla-t-il. Et parce qu’il sentait ses yeux le piquer et sa gorge se nouer un peu plus, il fixa à nouveau son attention sur l’horizon. Car il était plus facile de se concentrer sur des immeubles fixes et un ciel gris que sur le regard triste et incrédule de la fille qu’il avait toujours aimé.

C’était un truc qu’on faisait, chez les Milburn. Mettre de l’ordre. Tout rendre tout beau tout propre à l’extérieur, histoire de dissimuler le fait qu’à l’intérieur, c’était le bordel. Tresser des cheveux pour rentrer dans le rang. Jeter des compresses souillées pour reprendre le contrôle. Et puis, au milieu de tout cet ordre qui revient, recevoir en pleine figure une réponse à laquelle on ne s’attendait pas. « J’ai fait de la merde. C’est tout. J’ai perdu pieds quand t’es partie. Ça s’est pas amélioré avec le temps. J’avais jamais ressenti ça avant. J’étais paumé sans toi. Alors j’ai fait de la merde. J’ai tenté de passer à autre chose. De ressentir des choses. Mais t’étais toujours là… Toujours là. »
Pendant quelques longues secondes, il ne se passa rien. Elle avait cessé de s’agiter dès qu’il s’était mis à parler, s’était tournée vers lui sans vraiment s’en rendre compte, pour le regarder alors que ses doigts tenaient encore les pansements qu’elle était en train d’ordonner sans trop savoir pourquoi – des stégosaures verts, des brachiosaures jaunes, des iguanodons orange qui se couraient après dans ses mains alors qu’elle n’arrivait pas même à cligner des yeux. Et puis après ces quelques longues secondes, la culpabilité la heurta de plein fouet pour venir lui croquer les boyaux. Même à plusieurs milliers de kilomètres de lui, elle lui avait nui. Elle lui avait nui, l’avait hanté, lui avait pourri la tête, et elle ne se rendait pas vraiment compte comment c’était possible, comment elle avait fait, mais elle savait que c’était grave et que c’était sa faute. Et elle n’était pas sûre de vouloir en savoir davantage, vraiment, mais elle sentait toutefois la crainte se frayer un chemin au milieu de toute la mélasse de culpabilité qui lui engluait les tripes. Il avait fait de la merde. Il avait perdu pieds. Il était paumé. Elle avait peur de ne savoir que trop bien ce que ça voulait dire. « Oliver. Dis-moi que t’as pas fait de bêtise », exigea-t-elle dans un tremolos affolé – ce qui était culotté de sa part, vraiment, mais, bon – alors qu’elle se rapprochait de lui, d’un pas ou deux, pas bien plus.

Ses yeux lui piquaient et sa gorge était comprimée. Il sentait sa main trembler alors qu’il portait la cigarette à sa bouche. Il ne voulait pas craquer. Ça n’avait pas de sens. Pas maintenant. Alors Oliver pensa à l’horizon. Il concentra toute son attention sur la ligne des immeubles, sur les bruits de la ville, sur le gris du ciel et celui du bitume. C’était à peine apaisant. Parce qu’il savait maintenant qu’elle le dévisageait, qu’il en avait probablement trop dit. « Je– Je voulais pas te– » Les mots se perdirent dans sa bouche. Il déglutit, reprit une taffe. Il arrivait au filtre et se prépara à devoir se séparer de la seule et unique chose qui lui donnait une certaine contenance. Mais il l’entendit avancer, se remettre en route et le temps d’un instant il eut peur qu’elle parte. Alors qu’il allait la regarder, tourner la tête vers elle, il l’entendit murmurer. « Oliver. Dis-moi que t’as pas fait de bêtise. » Il tourna la tête vers elle, lui offrant un regard triste et une moue manifeste. Qu’est ce qu’il devait répondre à cela? Bien sur qu’il avait fait des bêtises. Bien sur qu’il avait fait n’importe quoi. Il venait de lui avouer. « Ça dépend ce que t’entend par bêtises... » dit-il d’une toute petite voix. Parce qu’il ne pouvait pas décemment lui avouer tout ce qu’il avait fait. Pas maintenant. Alors Oliver, qui ne pouvait plus regarder l’horizon, concentra toute son attention sur le visage défait de Mayella, sur ses yeux trop brillants, sur cette tresse imparfaite, sur la distance entre leur deux corps qui s’était soudainement un peu réduite. Il écrasa le mégot dans le cendrier au bord de la fenêtre, ferma celle ci, et tourna tout son corps en direction de Mayes. Il tenta un tout petit pas vers elle. Il voulait que toute cette tension s’évapore et qu’ils retournent où ils en étaient. Mais cela semblait être des heures plus tôt. Cela semblait même ne s’être jamais déroulé. « Mais t’es là maintenant. » Cela sonna presque comme une question, soufflé d’une toute petite voix. Et pourtant Oliver tenta d’y insuffler le peu d’espoir qu’il avait encore en lui.

Il n’allait pas lui dire qu’il n’avait pas fait de bêtise. Elle le savait. Pas seulement parce que son intuition le lui faisait savoir, mais surtout parce qu’elle connaissait Oliver et ses travers et ses penchants et toute sa vie ou presque et bien évidemment qu’elle savait qu’il n’allait pas lui dire qu’il n’avait pas fait de bêtise. Mais elle y crut jusqu’au bout. Jusqu’à ce qu’il tourne la tête vers elle, qu’il lui balance sa mine éloquente à la figure, qu’il lui réponde que ça dépendait ce qu’elle entendait par bêtises. Elle sentit son visage se décomposer et y porta ses mains encore serrées autour de ses stupides pansements qu’elle lâcha finalement pour mieux s’y cacher, mieux frotter ses paupières – un peu trop fort –, mieux planter ses ongles dans la peau de ses tempes. Qu’est-ce qu’elle entendait, par bêtises, au juste ? À peu près tout, n’importe quoi, ce qu’elle-même avait pu être tentée de faire mais n’avait pas fait complètement, ce qui lui avait presque volé son frère et un bout d’Oliver plus de deux ans auparavant, tant de choses et bien d’autres encore qu’elle ne parvenait pas tout à fait à imaginer. Alors forcément tout allait très vite dans sa tête alors qu’il rétropédalait à coups de « mais t’es là maintenant » comme si ça changeait quelque chose alors que ça ne changeait rien et que ça ne changerait jamais rien. Que le mal était fait et qu’elle ne savait pas trop de quel mal il s’agissait et que se frotter les yeux pour faire disparaître son tourment était une tactique bien illusoire à laquelle elle finit par renoncer pour parcourir la distance qui les séparait et le prendre de force dans ses bras. « Qu’est-ce que t’as fait ? » demanda-t-elle d’une voix sourde, en ayant presque l’impression d’être en train de l’engueuler alors qu’elle tentait juste, juste, de se raccrocher aux branches et de ne pas se confondre en excuses plus futiles et risibles les unes que les autres.